Article inédit - Synthèse

Brigitte Schigl

Féminisation de la psychothérapie : perspectives en matière de formation des psychothérapeutes

Cet article s'intéresse aux conséquences de la féminisation sur la formation des psychothérapeutes à partir des réflexions d'Eva Jaeggis (2014) sur le sujet. La situation en Autriche est telle que les psychothérapeutes sont au deux tiers des femmes traitant des patients qui sont au deux tiers des femmes elles aussi. Autrement dit, la psychothérapie s'exerce majoritairement en dyades féminines.

Si l'on s'interroge sur le rôle que joue l'appartenance à un sexe en matière de psychothérapie, reprendre la théorie du « doing gender » permet d'expliquer les diverses dynamiques qui naissent des compositions des différentes dyades thérapeutiques ou des groupes (Schigl 2012). Le « doing gender », c'est-à-dire la connotation que prend l'interaction entre les participants du fait de leur genre, est particulièrement manifeste au moment d'adresser un patient, dans le choix du thérapeute, dans les objectifs de la thérapie, dans des situations particulièrement difficiles du processus et concernant certains sujets abordés. Chaque configuration possède ses particularités, ses avantages et ses risques (Schigl 2014a).

Pour expliquer la situation de la formation, prenons l’exemple de la thérapie intégrative. La proportion est de 79 % de femmes et de 21 % d'hommes candidats à la formation, face à 59 % de femmes et 41 % d'hommes thérapeutes formateurs. Cette surreprésentation des hommes parmi les formateurs trouve son origine dans la volonté de créer un binôme formé d'un pilote et d'un copilote de sexes opposés dans chaque cohorte de formation pour chaque groupe de travail sur soi-même. Chaque candidat doit aussi avoir le plus grand choix possible entre des thérapeutes formateurs féminins et masculins pour sa thérapie individuelle dans le cadre de la formation. Il est donc plus facile pour les hommes, en nombre plutôt restreint dans notre communauté de thérapeutes, d'accéder au statut de formateur, puisque les candidats sont peu nombreux. La concurrence entre formatrices est plus âpre, en revanche. La dynamique des valeurs qui en découle est connue en sociologie professionnelle: du fait de leur genre, les hommes qui travaillent dans un environnement féminin (par exemple les professeurs, les infirmiers) sont particulièrement valorisés et montent vite en grade. La base à 80 % féminine de notre métier ne se retrouve pas dans les promotions et les fonctions d'encadrement que propose le métier de psychothérapeute (Jaeggi 2014) et est pénalisée. Les candidat(e)s des différents groupes vivent la même chose : en raison de leur petit nombre, les participants (1-5 hommes pour 10-15 femmes) sont soumis à une concurrence plus restreinte que les participantes. Souvent, les contributions de groupe sont interprétées de telle façon qu'elles reflètent davantage le point de vue masculin et qu'une plus grande attention leur est accordée par rapport aux contributions féminines (interprétation qui émane de candidat(e)s avec lesquels l'auteure a réfléchi à la composition des groupes selon le sexe). Par ailleurs, ils ont moins l'occasion de s'exercer à des situations thérapeutiques auprès d'hommes alors que les candidates ont un plus large choix de dynamiques relationnelles en dyades homogènes du point de vue du genre.

Au vu de ces dynamiques, je voudrais donc remettre en question le principe d'une composition la plus paritaire possible du corps enseignant. Cette situation cache des stéréotypes hétéro-normatifs et polarisants des sexes. On part implicitement du principe que les femmes et les hommes possèdent des particularités différentes et nous laissons ainsi toute latitude pour que les femmes soient pénalisées dans la formation thérapeutique. La composition paritaire de l'équipe de direction du groupe repose sur un modèle classique avec père et mère, alors que le « reparentage » est possible dans n'importe quelle combinaison. La collaboration au sein des encadrants du groupe doit se départir des stéréotypes liés au sexe. La collaboration qui naît d'une dyade féminine (ou masculine) est tout aussi utile que celle d'un binôme mixte.

Le fait de veiller simplement à ce que des dynamiques avec les enseignants féminins et masculins soit possible a un goût d'inachevé si ces expériences ne reflètent pas la sensibilité des sexes - or cela peut se faire dans chaque combinaison de genres et est même nécessaire. La gestion de la dynamique des genres – que ce soit en configuration de groupe ou individuelle – dépend fortement de la compétence de l'enseignant en la matière. Il revient au leader du groupe de faire vivre des stéréotypes liés au sexe ou à d'autres aspects dans le groupe et de les consolider. La seule représentation des deux sexes dans un groupe de formation ne garantit pas que le sujet de la dynamique des genres soit abordé. Les formateurs et responsables de formations doivent être conscients de cette problématique et posséder une sensibilité en la matière. Ce sera le moyen pour que la féminisation de notre profession cesse d'effrayer par son déséquilibre, que la compétence en matière de différence entre les sexes de nos candidats se renforce et que la qualité thérapeutique du traitement des patients s'améliore.