Article inédit (thème principal) – Synthèse

Myshelle Baeriswyl

Théorie queer en psychothérapie : Genre variant, identité de genre et idéologie de la binarité des genres

Dans notre société, le genre relève de catégories très structurées guidées par le bon sens. La binarité des genres et l'hétéronormativité qui en découle alimentent les modèles fondamentaux, constitutifs et très peu remis en question. Mais cette idéologie naturaliste de la binarité des genres conduit à une marginalisation et à une discrimination de tous ceux qui ne peuvent, ou ne veulent, se fondre dans le moule. La vision culturelle cisgenre, avec la binarité des genres et l'hétéronormativité qu'elle induit, n'est donc pas un comportement individuel, mais bien une idéologie dominante communiquée de façon implicite, qui s'accompagne d'une problématisation et d'une pathologisation systématiques des individus transgenres et intergenres, ou encore de genre variant, non conformes ou intermédiaires (queer). Elle impose le genre comme déterminé par la biologie, défini par la naissance, naturel et immuable, et oblige l'individu à faire sien ce genre rendu essentiel par son aspect extérieur.

Pourtant ce qui fait d'un individu un homme ou une femme, le fait que deux genres ou plus soient reconnus, dans quelle mesure le corps, la sexualité et le rôle social sont considérés comme constitutifs pour définir le genre, tout cela dépend du contexte culturel et fluctue selon son évolution. Dans de nombreuses sociétés situées essentiellement en dehors de l'Europe, la constitution du genre et les frontières entre les catégories des «hommes» et des «femmes» sont bien différentes des modèles que nous connaissons. Il n'existe pourtant pas encore dans notre société d'espace social pour ceux qui se situent entre les genres: ils sont marginalisés, discriminés et qualifiés de pathologiques.

Historiquement, la relation entre la psychothérapie et les individus de genre variant est difficile. La psychothérapie est venue compléter la psychologie pathologisante, la médecine et la psychiatrie, dont dépendent notamment fortement les personnes transsexuelles. Nous manquons de thérapeutes qui seraient non pathologisants, bienveillants à l'égard des transsexuels et intersexuels (queer), disposeraient d'une formation professionnelle qui les aurait sensibilisés à la diversité des genres et posséderaient de l'expérience en la matière, tout en faisant preuve d'une sensibilité spécifique indispensable.

Les directives thérapeutiques appliquées aujourd'hui aux individus transsexuels et de genre variant enfreignent largement la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui définit le droit à l'autodétermination sexuelle et le droit au transsexualisme. Ces directives ne tiennent pas compte des besoins des individus transsexuels mais servent les intérêts de pouvoir et de contrôle de la psychologie et de la médecine. Ce pouvoir de définition du corps transsexuel des disciplines liées aux soins de santé doit être remis en question dans ses fondements.

Il est nécessaire de changer en profondeur de perspective et de paradigme dans le système de soins apportés aux personnes transsexuelles et de genre variant. Il faut s'affranchir du modèle rigide, pathologisant et de son étroitesse de vue pour adopter un modèle conforme aux droits de l'homme, qui tienne compte des besoins individuels. Il faut pour cela que le droit à l'autodétermination sexuelle détrône le diagnostic d'évolution qui occupe actuellement un rôle central dans la configuration psychothérapeutique.

Réorienter la prise en charge des personnes transsexuelles en fonction de leurs droits et de leurs besoins offre la possibilité aux spécialistes du suivi thérapeutique de sortir du dualisme forcené qui les place soit en tant que «garde-barrière» soit en tant qu'accompagnant thérapeutique, pour mieux tirer profit de leurs compétences en accompagnement thérapeutique. Mais cela suppose d'aborder le sujet de la relation humaine et professionnelle des thérapeutes avec les individus transsexuels et de genre variant, et d'en faire ressortir les problématiques.

Plutôt que de verser dans une pathologisation stigmatisante, il convient de remettre en cause le système de valeurs psychothérapeutiques et ses approches, y compris les concepts de conseil et de thérapie. Les postures liées à l'hétéronormativité et l'hétérosexisme, à la transphobie et à l'homophobie intériorisées, à la binarité des genres, au cisgenre culturel, à la diversité des identités de genre, aux projets individuels en matière de genre et aux orientations sexuelles doivent toutes être abordées dans les cursus de formation postgrade afin d'amener à une prise de conscience sur ces questions.

Mots clés: binarité des genres, hétéronormativité, théorie queer, intersexualité, transsexualité, évolution des genres, identité de genre, genre variant, discrimination.

Auteure

Dr. phil., psychologue & sexologue, Directrice du centre de consultation sur le SIDA et la sexualité, Directrice de la consultation spécialisée en genre variant en Suisse orientale, Membre du groupe Trans*.