Article inédit (Synthèse)
Hedda Lausberg, Monika Kryger
La gestuelle en tant qu’indicateur dans le cadre de processus thérapeutiques fondés sur le langage : la fonction des gestes d’auto-attouchement et la représentation des relations d’objet par le biais du comportement gestuel
Cette étude de cas nous analysons le comportement gestuel d’une patiente souffrant d’une légère dépression et d’une anorexie atypique au début et vers la fin d’une psychothérapie ambulatoire de type psychodynamique ayant inclus 25 séances. Dans la mesure où la thérapie psychodynamique s’est centrée sur le manque de différenciation entre le Soi et l’objet dans la relation de la patiente avec sa mère, on a également analysé les gestes utilisés pour communiquer avec cette dernière d’un point de vue qualitatif.
Les enregistrements vidéo des gestes de la patiente ont été analysés par une évaluatrice compétente en utilisant le système NEUROGES-ELAN (Lausberg et Slöetjes 2009).
D’un point de vue quantitatif, le comportement gestuel de la patiente manifeste une baisse de la fréquence des mouvements de la main dans la dernière séance de la thérapie, comparé à ce qui avait été enregistré lors de la première séance. Ceci s’est avéré particulièrement clair pour les mouvements irréguliers mais continus dans lesquels elle se touchait le corps (auto-attouchements) et, à un degré moindre, pour les changements dans la position de la main. De plus, on enregistre une légère baisse de la fréquence des gestes répétitifs plus que des gestes communicatifs. L’analyse qualitative a montré que le point de référence des gestes dirigés vers la mère a évolué en cours de thérapie. Alors qu’au début la patiente dirigeait ses gestes vers la mère en se référant au milieu de son propre corps, à la fin de la thérapie ces gestes se situaient essentiellement dans son espace gestuel de gauche.
Des gestes continus et irréguliers, et en particulier ceux de type autocentré (auto-attouchements) peuvent être observés non seulement chez des patients souffrant de dépression clinique, mais aussi chez des individus soumis au stress et dont le vécu affectif tend à être négatifs (Sainsbury 1955; Freedman, O'Hanlon, Oltman und Witkin 1972; Sousa-Poza et Rohrberg 1977; Freedman et Bucci 1981; Barosso, Freedman, et Grand 1978; Ulrich 1977; Ulrich et Harms 1985; Lausberg 1995).
Compte tenu de ce contexte, la baisse du nombre d’auto-attouchements continus peut être considérée comme indiquant une amélioration d’un trouble psychique léger grâce à une psychothérapie verbale menée en ambulatoire. Dans les études mentionnées plus haut, il est indiqué que ce type de modification du comportement gestuel n’est pas seulement enregistré lorsque les patients souffrent de dépression moyennement grave ou grave. Il est clair que l’étude de cas présentée montre que cette baisse de fréquence n’est pas due aux médicaments. D’autre part, il se peut que la large proportion d’auto-attouchements au début de la thérapie soit le reflet d’un stress engendré par la rencontre avec la thérapeute (la même chose s’appliquant aux cas mentionnés dans les études citées). Pour minimiser l’influence du facteur stress, nous avons analysé la deuxième séance et non la première. Il reste qu’on ne peut pas exclure que le nombre élevé de gestes du type mentionné ait été engendré par le stress dû au relatif manque de familiarité avec la situation thérapeutique.
Freedman et Bucci (1981) ont élaboré un postulat selon lequel les mouvements d’auto-attouchement ne sont pas uniquement dû à la nervosité et au stress, mais contribuent également à l’autorégulation – ils sont donc un comportement de coping. Quelques démonstrations de cette hypothèse ont été faites par de récents travaux de recherche : les rats utilisent un comportement de self-grooming ou mâchent des objets non-comestibles pour atténuer la réaction de stress (dopamine) située dans le cortex préfrontal et en particulier dans l’hémisphère droite (Berridge, Mitton, Clark, et Roth 1999). Concernant les rongeurs, il est possible d’influencer de manière positive la croissance, la libération d’hormones de croissance (GH) et le Brain-Derived-Neurotropic-Factor (BDNF) par le biais d’une stimulation tactile. Concernant l’être humain, lorsque l’individu se touche le visage, réagissant ainsi spontanément à des bruits désagréables, on enregistre une augmentation significative de l’activité beta et thêta dans l’EEG (Grunwald et Weiss 2007). Les auteurs interprètent cette donnée comme une down-régulation du stress et des émotions négatives. Lorsqu’un fait des massages à un bébé prématuré, on obtient une prise plus rapide de poids et une réduction du niveau de cortisol dans le sang (Schanberg et Field 1987; Guzetta et al. 2009). Les auteurs de cette dernière étude mentionnent en outre que l’enregistrement encéphalographique montre plus rapidement une activité cérébrale continue, attestant ainsi d’une maturation du cerveau. D’un point de vue psychodynamique, on interprète le fait que les patients schizophrènes et les autistes tendent à stimuler plus souvent leur corps comme une tentative de renforcer les limites de ce dernier (un aperçu est fourni par Joraschky 1983). Il semble donc plausible que, même chez les personnes psychiquement saines, les auto-attouchements sont utilisés pour stabiliser les frontières du corps.
Nous formulons donc l’hypothèse suivante : les auto-attouchements continus constituent une stratégie inconsciente, mais efficace, visant à autoréguler le stress psychique (dans des situations difficiles du quotidien, mais aussi dans le cadre de troubles psychiques).
Au cours du déroulement de la thérapie, une autre évolution a clairement eu lieu au niveau de la fréquence des changements de position des mains. Ce paramètre non-verbal n’a pas encore été étudié empiriquement. Ces changements peuvent se produire de manière autonome ou en rapport avec un changement de position du corps. Certaines études ont démontré que ces positions sont associées de manière individuelle avec certains états ou thèmes psychiques (Scheflen 1974; Davis et Hadiks 1990; LaFrance 1982; Davis et Hadiks 1994). Dans ce sens, un changement de thème ou une modification de l’état psychique s’accompagne d’un changement de position. Il se peut que, lors de la 2e séance qui s’est concentrée sur l’anamnèse, des changements de thème plus fréquents ont eu lieu que dans la séance 18. Nous n’avons pas effectué d’analyse du discours et il n’est donc pas possible de confirmer cette supposition. Les observations menées au quotidien montrent que les changements de position peuvent aussi indiquer un besoin de changer de thème ou de modifier la situation : par exemple, lorsque quelqu’un se redresse ou se penche en avant pour montrer qu’il veut dire quelque chose. Il se peut par contre que la patiente ait effectué plus de changements de position au début de la thérapie simplement parce qu’elle ne se sentait pas à l’aise et souhaitait modifier cette situation.
Concernant les gestes communicatifs, lors de la dernière séance une légère baisse des gestes phasiques éloignés du corps et une baisse relativement plus importante du nombre de gestes répétitifs éloignés du corps ont été enregistrées. Dans la mesure où nous n’avons pas analysé le niveau verbal (nombre de mots), il n’est pas possible d’interpréter cette donnée en tant que diminution de la gestique communicative. Il est toutefois clair que la fréquence des gestes répétitifs a plus baissé que celle des gestes phasiques. Les gestes communicatifs de type répétitifs, comme par exemple ceux qui ressemblent aux mouvements de la baguette d’un chef d’orchestre, sont utilisés, en règle générale, lorsque la personne veut souligner un énoncé de manière durable. Ce type de geste est, dans ce sens, typique des discours tenus devant un public. Il se peut donc que la baisse des gestes communicatifs répétitifs utilisés par la patiente indique que celle-ci était plus sûre dans la 18e séance que dans la deuxième que la thérapeute l’écoutait vraiment et que c’est la raison pour laquelle elle a renoncé inconsciemment à utiliser des gestes rythmiques servant à renforcer ses paroles.
L’analyse quantitative des gestes a produit un autre résultat intéressant. La représentation de la mère au sein de l’espace gestuel a évolué en cours de thérapie. Concernant cet aspect – et au contraire des auto-attouchements –, on peut partir du principe qu’il ne s’agit pas d’un comportement gestuel dû au stress, car toute l’expression gestuelle a évolué.
La recherche menée en neuropsychologie considère comme donné le fait que les représentations mentales d’objets et d’outils sont toujours traduites en un ‘construct’ (cf., par ex., De Renzi 1999). La référence à une image mentale de l’objet permet de traduire en gestes pantomimiques l’image et l’utilisation de l’objet que l’on tient dans la main (Lausberg et al. 2003a, Kita et Lausberg 2008).
Lorsque la référence concerne une autre personne ou l’individu lui-même, les représentations se font en utilisant des gestes dans lesquels on montre du doigt. Lorsque ce type de geste est dirigé vers le locuteur, il se situe au niveau du sternum (où apparemment se situe le Soi dans notre culture) et le locuteur regarde son interlocuteur (Lausberg et al. 2000; Lausberg et al. 2007). Lorsque ce type de geste se réfère à une personne absente, il est fait en général en référence à un point spécifique de l’espace gestuel (Fricke 2009), la tête et le regard étant tournés dans la même direction.
Lorsqu’on leur montre des scènes de dessins animés contenant deux objets, les sujets placent spontanément l’objet central exactement au milieu de leur corps, alors que l’objet situé sur la gauche ou sur la droite occupe une place dans l’espace de gauche ou celui de droite (Lausberg et al. 2003 b). En général, des scènes spatiales concrètes – par ex. la description d’un itinéraire – sont associées à des gestes d’accompagnement qui se situent de manière très précise dans l’espace gestuel (Kopp et al. 2008; Fricke 2009). On peut supposer que les espaces mentaux et les relations sont eux aussi représentés de manière précise. Dans ce sens, nous formulons l’hypothèse suivante en rapport avec notre étude de cas : la localisation gestuelle de la mère dans l’espace correspond à la position occupée par la représentation de la mère (au sens de la relation d’objet). Au début de la thérapie, la patiente se trouvait confrontée à un conflit entre la perception de Soi et celle de l’objet, c’est-à-dire qu’elle avait de la peine à différencier entre elle-même et sa mère. C’est pourquoi ses gestes localisaient la mère près du milieu de son corps. A la fin de la thérapie, Madame A. était mieux capable de voir sa mère et de se voir elle-même en tant que deux personnes autonomes ayant des besoins différents. Au niveau des gestes, elle a alors localisé la mère dans l’espace de gauche, loin du corps.
L’analyse de ce cas démontre pour la première fois que l’évolution des relations d’objet en cours de thérapie se traduit, en terme de gestique, par une modification de la position occupée par les personnes proches au sein de l’espace gestuel.