Article inédit (Synthèse)
Ulrike Borst
Qu’est-ce qui est vraiment normal?
Comprendre et modifier les réactions de deuil dans leur contexte
Compte tenu des modalités très variées selon lesquelles les réactions de deuil peuvent se manifester, il est difficile de définir une frontière entre le « deuil normal », d’une part, et le « deuil compliqué » ou pathologique d’autre part. Une phase prolongée de deuil ou des rituels qui semblent absurdes ne peut que difficilement être distingués d’un vécu ou d’un comportement dépressif ; ils ont parfois des significations qui ne peuvent être cernées que si on les reconsidère et si l’on tient compte du contexte. Nous utilisons un exemple historique, celui de la reine Victoria, pour mettre en évidence cet aspect.
Le « travail de deuil » ne peut souvent jamais être terminé. Nous présentons un deuxième exemple, dans lequel il ne s’agit pas d’un deuil mal clos mais d’un processus de deuil qui est demeuré bloqué parallèlement au blocage d’une construction personnelle qui, lui, était causé par des attitudes et des réactions peu adéquates. Le déroulement de la thérapie montre, dans ce cas, à quel point la biographie joue un rôle important. Un troisième exemple met en évidence la signification possible du décès de la mère pour un 13 à 19 ans : des étapes importantes du développement ne peuvent pas être accomplies, le déroulement de la thérapie est complexe et doit servir à compenser cet aspect.
L’approche systémique implique toujours une réflexion située dans des contextes, les cycles cause-effet-relation fondant l’intervention thérapeutique ; les proches qui jouent un rôle important dans le contexte familial et social – ne serait-ce qu’au niveau du mental – sont toujours pris en compte. En général, le fait d’ancrer ce qui s’est passé dans un narratif évite que la personne soit submergée par des souvenirs émotionnels pas encore intégrés ; il est indispensable lors de la première phase. Il faut porter attention dès le début à une formulation verbale précise, car cela permet d’éviter que le deuil ne soit absorbé par tout un mélange indifférencié d’émotions négatives et de continuer à identifier des aspects positifs, comme la solidarité au sein de la famille suite à un décès. Durant la thérapie, il faut pouvoir quitter fréquemment ce que l’on appelle la ‘transe problématique’ : un temps et un espace sont attribués au deuil qui devient en quelque sorte personnalisé et externalisé. Des questions concernant l’avenir et formulées au subjonctif ou des questions en rapport avec un distant futur permettent de centrer la démarche sur un élargissement des perspectives d’avenir. De même, des changements fréquents par rapport à l’axe du temps peuvent être utiles sur le plan thérapeutique et contribuer à résoudre les points sur lesquels le client se sent paralysé.
Nous utilisons le concept de salutogenèse pour justifier le fait que, dans la thérapie impliquant des personnes ayant subi des pertes, il faut effectuer une distinction entre comprendre, agir et trouver un sens ; il doit également y avoir différenciation entre des expériences traumatisantes vécues dans le passé et la situation existentielle présente et future. A ce niveau, la thérapeute joue le rôle de moteur et – dans son propre langage – de modèle à la récupération du contrôle de la vie.
Un autre concept utile est celui de la résilience et de la résilience familiale ; il est présenté dans le sens d’une intervention permettant de créer des rituels. Si l’on ne comprend pas la biographie du client dans toute sa profondeur, si l’on ne sait pas quelles solutions ont été utiles lors de crises antérieures et quelle est la signification de développements relevant du passé, du présent et du futur, il est inutile de suggérer un rituel : il s’agirait d’une proposition faite par un technocrate et le client ne la comprendrait pas.