Article inédit (Synthèse)
Joachim Küchenhoff
Les conditions d’un processus de deuil abouti
Le présent article s’intéresse aux conditions requises pour qu’un processus de deuil réussisse ; la question de savoir dans quelle mesure il est possible de clore le processus est également posée. Une analyse est d’abord présentée des pré-conditions psychologiques requises par le deuil. Le processus est indispensable à la maîtrise des pertes. Il manifeste une structure temporelle spécifique et n’est pas éternel. Il requiert trois capacités : la capacité à se laisser aller à un processus, la capacité à l’endurer au niveau affectif et la capacité à le mener à bout et à y mettre un terme.
• la capacité à se laisser aller à un processus de deuil exige d’abord qu’une perte soit perçue et reconnue. Il est possible d’éviter le deuil en évitant les séparations, comme dans le cas par exemple de la séparation d’avec les parents, lorsque celle-ci est volontaire et menée par l’individu pour avancer dans sa construction.
• la capacité à endurer le processus de deuil au niveau affectif exige que l’individu ait bien intégré ses structures psychiques. La capacité à supporter le désespoir dépend aussi de « l’objet perdu », soit de la qualité des rapports avec ce dernier.
• et enfin, la capacité à mener le deuil et à le clore exige que la personne se soit réconciliée avec la perte ou avec le changement, une attitude que, dans le meilleur des termes, il faut associer à la notion de « pardon ».
Il reste qu’il n’est pas possible de faire son deuil seul : nous avons besoin de l’Autre, nous avons besoin d’un cadre. Un deuil solitaire ajoute à la douleur ou fait que le désespoir devient insupportable. C’est pourquoi, dans les différentes cultures, le deuil est associé à des lieux spécifiques, mais est aussi accompagné de rituels qui aident l’individu et qui lui donnent la possibilité de communiquer à d’autres et de partager avec eux la perte qu’il a subie. Il faut donc un Autre, un autre endroit qui ne sera pas enseveli sous le processus de deuil.
Les processus de deuil ne sont pas seulement activés en fonction d’une situation donnée ; ils jouent un rôle important tout au long d’une vie. La mort est l’expérience ultime, la perte qui ne peut pas être gérée d’un point de vue existentiel. Je ne peux pas faire le deuil de ma propre mort, mais je peux faire le deuil des nombreuses séparations que j’ai subies – que je me suis vu contraint de subir – dès ma naissance, de celles qui accompagnent toutes les étapes de ma maturation, du moment de mon sevrage à celui où je prends congé de ma famille primaire à celui où j’entre dans la vie professionnelle et jusqu’à celui où des proches décèdent. Vu comme cela, le deuil fait partie d’un processus de construction de soi qui dure toute la vie.
Quand le deuil aboutit-il à sa fin? L’auteur invite les lecteurs à réfléchir à la question de savoir si les processus de deuil trouvent d’eux-mêmes un terme ou si l’on peut les clore entièrement ou encore si, en réalité, ils échouent en tant que tels parce que les pertes sont inimaginables et incompréhensibles.