Article inédit (thème principal) - Synthèse
Andreas Heller, Claudia Wenzel
Hospices et soins palliatifs – Idées, conception et défis posés à la psychothérapie
Le concept des soins palliatifs a été élaboré dans le cadre du mouvement international des hospices (« international hospice movement ») puis introduit dans les pays de langue allemande avec un certain retard par rapport aux pays anglo-saxons, où l’on avait commencé à l’appliquer dans les années 1980, l’objectif étant de permettre aux patients de mourir dans la dignité (« to die in dignity and character »).
Elisabeth Kübler-Ross, une femme médecin suisse qui vivait aux États-Unis, et Cicely Saunders, une Anglaise spécialisée dans les soins et le travail social, peuvent être considérées comme les pionnières du travail en hospice et des soins palliatifs modernes.
Concernant le terme ‘hospice’, celui-ci continue à contenir un principe développé en Europe et dans l’Orient ancien, celui de l’hospitalité ; dans ce contexte, l’existence humaine est considérée comme un pèlerinage au cours duquel des abris devront être offerts à l’individu pour qu’il lui soit possible de trouver son chemin et d’atteindre son but. Dans ce sens, les hospices ont pour fonction d’offrir une hospitalité désintéressée ; les bâtiments ne jouent aucun rôle car ce sont l’attitude des personnes impliquées et la manière dont elle est cultivée dans une société qui comptent.
D’un point de vue historique, le mouvement des soins palliatifs a d’abord été un mouvement citoyen porté par des bénévoles qui s’engagent pour que les malades aient le droit et la possibilité de mourir de manière digne et individuelle, après une phase de fin de vie positive et indépendamment de leur religion, de leur race, de leur sexe et de leurs ressources. Les soins palliatifs (appelés médecine palliative dans les pays de langue allemande) ont fini par contribuer à la mise en place d’un important processus de professionnalisation, dominé par les soins médicaux et l’institutionnalisation et ce sont ces aspects qui dominent aujourd’hui encore.
La première définition des soins palliatifs présentée par l’OMS date de 1990 ; dans sa version révisée, il est clairement souligné qu’il faut mettre en œuvre les soins palliatifs très tôt dans le déroulement de la maladie, en parallèle aux traitements curatifs (OMS 2002). La manière dont ce principe de base doit être appliqué dans le cadre des différents systèmes de santé n’est, elle, pas définie ; c’est pourquoi, au cours des vingt dernières années, des structures et des offres très variables ont été élaborées en Allemagne, en Autriche et en Suisse.
On n’a jamais exclu par principe l’idée d’appliquer les différents aspects ayant contribué à l’évolution de l’idée d’hospice à des personnes souffrant de maladies chroniques ou aux personnes âgées – c’était même le souhait de Cicely Saunders ; il reste que le concept a été développé avant tout dans le cadre du traitement de malades souffrant d’un cancer incurable.
Mais depuis quelques années et au niveau international, le traitement correspondant aux soins palliatifs est de plus en plus à d’autres malades et, entre autres, aux personnes âgées.
Dans les pays de langue allemande, on a parfois tenté d’utiliser le terme de gériatrie palliative, bien que celui-ci implique une ‘tendance à la médicalisation’ qui n’a sa place ni dans la pratique et dans le quotidien des soins offerts aux personnes âgées, ni au niveau de la réflexion théorique interdisciplinaire concernant la manière de traiter ces dernières.
L’aspect révolutionnaire de l’approche dans laquelle la fin de vie est approchée de manière innovante réside dans le fait – entre autres – que l’individu, qu’il soit femme, homme, enfant ou adolescent (il existe également des soins palliatifs pour les enfants) est perçu dans le cadre d’un environnement social. L’unité de soins (care unit) est un système social dans lequel la personne trouvera sa place. Cicely Saunders considérait que la souffrance humaine a une dimension globale (elle parle de total pain), donc également biopsychosociale et spirituelle. L’introduction de cette pluri-dimensionnalité au niveau des soins est en fait presqu’une révolution, et pas seulement dans le contexte de la médecine traditionnelle. Il en dérive qu’il est indispensable de travailler et d’élaborer une théorie dans un cadre interdisciplinaire ; cela implique aussi – logiquement – une collaboration entre professionnels jouant des rôles complémentaires. Dans ce cadre, ce sont par ailleurs les bénévoles, les collaborateurs citoyens qui assurent la continuité des soins (soins de support).
Selon la définition des soins palliatifs élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’European Association for Palliative Care (EAPC), durant la phase de fin de vie il faut absolument prendre en compte les aspects psychiques mais aussi les offres de soutien adressées aux malades et à leurs proches. Mais, contrairement à ce qui se passe dans d’autres domaine, le soutien psychique, psychologique et psychosocial compris dans les soins palliatifs n’est pas confié à un groupe professionnel spécifique ; ce sont tous les professionnels impliqués dans l’environnement du malade qui doivent s’occuper de prendre en charge le psychisme de personnes gravement malades ou en fin de vie et de leurs proches. Les soins palliatifs impliquent l’apport d’un soutien, mais aussi des interventions de crise et la concentration sur des stratégies personnelles de coping et sur les ressources individuelles. Dans cette démarche, un aspect joue un rôle essentiel : du fait de la proximité de la mort, il ne peut plus s’agir d’obtenir une modification de traits de caractère ou de composantes de la personnalité, même si l’on ne peut pas nier le fait que les personnes proches de la mort passent souvent par des processus extrêmes de développement psychique.
En ce qui concerne la psychothérapie, considérée comme l’établissement de relations dans le cadre d’une ‘culture d’hospitalité’ abritée par les hospices et les unités de soins palliatifs, elle exige avant tout que le thérapeute ait une attitude altruiste. Accompagner des personnes dans la dernière phase de leur vie force toujours le professionnel à se confronter à des thèmes profondément existentiels (qui le concernent également). Une approche professionnelle des résidents d’un hospice ou de personnes vivant encore à leur domicile se transforme souvent en un processus dans lequel l’accès au mourant est marqué de solidarité entre humains et provoque des expériences limites, aux frontières de la vie.
Professionnaliser ce type de démarche n’est pas forcément la bonne solution – ou cela ne suffit pas. En effet, si l’on tente de séparer les composantes biologiques, psychologiques, sociales et spirituelles qui constituent la personnalité du mourant et de les traiter chacune séparément, on ne rend pas service à la personne en fin de vie et provoque souvent des débats en rapport avec les compétences des différents professionnels.
D’autre part, puisque faire face à la mort est peut-être la dernière (ou la première) occasion qu’a l’individu de vivre des moments transcendants, il ne peut pas s’agir de diagnostiquer des dysfonctions psychiques ou de définir des compétences professionnelles. Il faut plutôt se demander quelles pourraient être les contributions des différentes approches psychothérapeutiques lorsqu’il s’agit d’accompagner et de soutenir l’expérience d’une dimension transcendante.