Article inédit (thème principal) - Synthèse

Johannes Gabriel

La riposte du futur

La crise financière et économique dure depuis cinq ans et cela pousse à se demander comment et pourquoi les crises subies par des systèmes construits se transfèrent sur chaque individu – ou pourquoi elles ne le font pas. La recherche consacrée au futur peut fournir une réponse possible: lorsqu’on néglige trop longtemps l’avenir, celui-ci riposte soudainement à un moment ou à un autre. Mais même si ces crises nous atteignent, cela ne veut pas dire que l’avenir a de mauvaises intentions à notre égard. En effet, les crises servent souvent à nous préserver du déclin. Les rapports entre avenir et crise peuvent être examinés du point de vue des concepts, de celui des systèmes et de celui des actes:

Une crise s’accompagne de changements fondamentaux, soudains et en général perçus comme négatifs. Lorsqu’elle se produit, il ne faut pas forcément que ces changements soient déjà achevés; il suffit de savoir qu’ils vont conduire tôt ou tard à une catastrophe. Cette définition simplifiée montre que les crises sont toujours également en rapport avec l’avenir. L’avenir n’existe pas encore, il contient des évolutions potentielles et dans ce sens il est incertain; on ne peut pas le connaitre. Le monde qui entoure l’individu est marqué d’une incertitude par rapport à des évolutions futures, dans le sens où les systèmes dont nous faisons partie sont complexes sur les plans structurel et dynamique. Pour les systèmes, la complexité n’est pas un problème en soi: ils peuvent mener une existence stable « au bord du chaos », car ils peuvent s’adapter à ce dernier en modifiant leurs structures. Par contre, la complexité devient problématique à partir du moment où elle affecte l’environnement d’un système. En effet, un environnement complexe ne permet pas de faire des prédictions; le système touché ne peut pas savoir grand-chose sur l’avenir de son environnement. Différents systèmes ne portent souvent pas beaucoup d’attention à cette donnée. Cela s’applique également – et surtout principalement – à l’individu, à la personne. Celle-ci doit pouvoir anticiper l’avenir pour prendre des décisions ciblées. En effet, ce n’est que lorsqu’on tient déjà compte du futur au moment de prendre une décision que l’on peut planifier et agir avec succès, indépendamment du système de valeurs qui est appliqué au moment de prendre celle-ci. Cette anticipation est influencée par des environnements complexes et aléatoires. Les décisions sont donc prises sans que l’on soit sûr d’elles. Cet aspect ne plait pas beaucoup à l’être humain, car il ne peut pas y échapper. Les crises touchent donc le niveau personnel à partir du moment où l’individu commence de plus en plus à percevoir sa situation comme problématique. Ne pas savoir ce qui va se passer et ce qu’il va pouvoir faire rend l’homme malade.

Il est possible de prévenir les crises personnelles: la condition fondamentale de la démarche consiste à accepter qu’une composante élémentaire du monde qui entoure l’individu est l’incertitude par rapport à des décisions qui vont avoir des effets sur l’avenir. Nous pouvons en outre éviter que les crises nous touchent personnellement si nous cessons de croire que nous savons ce qui va arriver pour, par exemple, expérimenter avec différentes hypothèses. En effet, mener assez tôt une réflexion sur l’évolution potentielle de l’environnement est fructueux et il vaut la peine, le cas échéant, d’y consacrer du temps; cela permet d’élaborer à l’avance des mesures d’adaptation qui contribueront à réduire l’anxiété produite par les crises touchant l’environnement – et donc influençant les situations dans lesquelles il faut prendre des décisions.

Il faut par conséquent constater que c’est lorsque l’individu prend soudainement conscience des incertitudes associées à son environnement que la crise se déclenche ou qu’il en est vraiment conscient. Pendant tout ce processus, il découvre qu’il ne sait pas ce qu’il croyait savoir, que son savoir comporte des lacunes et qu’il ne peut que constater son ignorance au niveau des choses qu’il croyait savoir. L’élaboration de scénarios peut servir à prévenir ce soudain transfert d’incertitude. De plus, les crises ont également des avantages, en dépit de tous leurs aspects négatifs (que ce soit pour l’individu ou pour le système abstrait et complexe qui l’entoure). Seules les crises libèrent au sein de systèmes complexes les énergies nécessaires à une adaptation réussie à des environnements qui changent rapidement et de manière fondamentale. Ce n’est qu’ainsi qu’ils échapperont au déclin. La fièvre libère des mécanismes de défense dont le corps ne dispose pas lorsqu’il fonctionne normalement. Enfin, il faut constater que l’avenir ne riposte pas pour nous punir, mais pour initier un processus d’apprentissage et pour mobiliser des énergies qui nous aident à comprendre et à accepter sa nature indéterminée. D’autre part, le fait d’anticiper peut nous servir à nous adapter d’avance et par étapes aux systèmes de crise situés dans notre propre environnement, ce qui peut éviter que la crise se matérialise. Il est tout à fait possible d’apprendre à gérer un avenir incertain et cela peut contribuer à augmenter la résistance individuelle aux crises.