Article inédit (thème principal) - Synthèse
Dominik Batthyány
La dépendance à Internet – phénoménologie et approches thérapeutiques
Le monde des médias est omniprésent et il ne peut pas être dissocié du quotidien. Il provoque une certaine fascination et il exerce une puissante force d’attraction. En provoquant des ressentis excitants et souvent agréables, il contribue à « emprisonner » les idées et les sentiments, attirant l’attention. Ce phénomène peut inciter l’individu à délaisser des domaines existentiels désagréables ou source de souffrance, auxquels il ne souhaite pas faire face. Pour le formuler de manière simplifiée, on pourrait dire que les nouveaux médias sont devenus des drogues au quotidien : tout le monde y a accès, les utilise – et même se voit contraint de les utiliser. Cette manière de voir les choses est sans doute exagérée, mais elle correspond aux craintes qui ont souvent été exprimées. D’un point de vue scientifique, il est difficile de répondre à la question de savoir ce qu’est la « dépendance à Internet » ou même de savoir quels sont les aspects qui créent la dépendance. A ceci s’ajoute le fait que, depuis ses débuts dans les années 1990, la Toile est devenue plus complexe dans le sens où les potentiels offerts, les modes la caractérisant et sa signification pratique ont évolué.
Au moment de tenter de comprendre les phénomènes caractéristiques des « dépendances non matérielles » – on pourrait parler de « dépendances à des comportements » –, on a souvent pensé qu’il s’agissait de troubles compulsifs ou de troubles liés à un manque de contrôle des impulsions, ou encore d’une simple dépendance. Il s’est avéré que ces définitions ne suffisent pas et qu’elles sont problématiques. Au début, on a suivi deux voies pour cerner le phénomène de la « dépendance à Internet » : on a considéré que, soit cette dépendance était la même que celle associée à des substances psychotropes, soit elle correspondait à une dépendance pathologique aux jeux de hasard. Il reste aujourd’hui que la « dépendance à Internet » devrait être classifiée dans la catégorie des « Troubles des habitudes et des impulsions, sans précision » (ICD-10, F63.9). Dans ce sens, elle se situerait au même niveau que la tendance pathologique à allumer des feux (pyromanie), à commettre des vols (kleptomanie) ou que la trichotillomanie (arrachage compulsif des cheveux). Un problème demeure : qu’il s’agisse de jeu pathologique ou de dépendance à Internet, on considère qu’il y a développement d’une tolérance jusqu’au moment où tous les contenus existentiels se concentrent sur le comportement dépendant. Il s’agit en fait des caractéristiques typiques d’une dépendance, mais dans ce cas, celle-ci ne peut pas être considérée comme relevant d’un trouble du contrôle des impulsions. De plus, on tend maintenant à ne plus considérer que la dépendance à Internet correspond au concept classique de dépendance. C’est dans ce sens que, concernant le DSM-5, on envisage de remplacer le terme de « Substance Related Disorders » (troubles associés à une substance) par celui de « Addiction and Related Disorders » (dépendance et troubles proches). Cette catégorie plus large recouvrirait également le jeu (de hasard) pathologique, en tant que trouble non associe à une substance.
En ce qui concerne la « dépendance à Internet », il s’avère qu’en soi, cette désignation est peu précise et quelle inclut toute une série de comportements en rapport avec Internet, comportements qui peuvent donner lieu à une dérive. Nous pensons en particulier au téléchargement de pornographie, aux jeux de hasard, aux groupes de discussion, aux jeux en ligne, aux achats en ligne, etc. Ces différents domaines ne provoquent pas tous les mêmes phénomènes de dépendance. Par contre, les jeux de rôles en ligne, les ‘communities’, les jeux de hasard et les portails à contenu sexuel peuvent causer des problèmes.
Par ailleurs, les symptômes de la dépendance à Internet sont souvent similaires à ceux manifestés lors d’une dépendance à des substances. Les risques sont particulièrement élevés dans le cas de personnes souffrant de troubles affectifs et anxieux, de dépression, de troubles de l’attention ou d’hyperactivité (ADHS), d’une mauvaise résistance au stress, d’une image négative de soi et d’un net manque d’extroversion (tendance à se concentrer sur soi et à se vexer facilement dans les échanges sociaux).
Exiger de ces patients qu’ils cessent d’utiliser Internet n’est pas facile et en général peu efficace. C’est pourquoi, dans le cadre de la thérapie, on tente de réduire l’utilisation de la Toile. Il s’agit de récupérer une manière contrôlée de se servir d’Internet ou des domaines de ce dernier qui causent problème. Il s’agit aussi – et c’est important – de s’exercer à une meilleure gestion du temps et d’apprendre des stratégies efficaces de maitrise des différents aspects. En général, la thérapie doit consister en une approche individualisée dans laquelle on se concentrera sur les facteurs et contenus sous-jacents que le client recherche sur Internet et qu’il considère comme une ‘récompense’. Il est d’autre part important de cerner les motifs qui ont poussé le client à suivre une thérapie, de reconstruire les comportements associés à Internet et à la dépendance et d’élucider les conséquences de son comportement. Il s’agit aussi d’aider ce dernier à prendre consciemment de la distance par rapport aux médias impliqués et à leur contenu et à élaborer des moyens de contrôle social ; et enfin, il faut prévenir les risques de rechute et intégrer ces derniers dans le processus thérapeutique.