Tension corporelle comme mécanisme de protection

Une perspective bioénergétique de la régulation des émotions

Vita Heinrich-Clauer

Psychotherapie-Wissenschaft 7 (2) 36–37 2017

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CC BY-NC-ND

Mots-clés : Régulation émotionnelle, tonus musculaire, structure de caractère, expression motrice et vocale, théorie polyvagale, contact sûr

Les processus émotionnels et corporels sont étroitement mêlés. Les théories neurobiologiques des émotions supposent que l’expérience et le comportement émotionnels entre autres sont traités à un niveau expressif moteur (Damasio, 2003; Koemeda, 2009, 2012). Certaines postures corporelles et certains mouvements influencent également notre humeur actuelle et sur le long terme notre modèle émotionnel du contact au monde (Storch et coll., 2006). Nous montrons une résonance somatique aux autres, réagissons à leurs mouvements et à leurs émotions à l’aide du neurone « miroir ».

La respiration est la clé centrale pour discerner les sentiments et les exprimer par la voix. La respiration fait bouger les cavités de résonance du corps, et cette dynamique participe à développer les émotions, à les gérer et à les exprimer. Les systèmes sociaux et corporels de la perception et de la gestion de la douleur sont liés. Les maladies et les sentiments blessés sont vécus de la même manière qu’une sensation corporelle de la douleur (Bauer, 2011). Les sentiments pour lesquels il n’existe aucune expression émotionnelle motrice, car nous nous contrôlons par nos pensées ou nos peurs inconscientes ou parce qu’il nous manque un interlocuteur empathique ou limitant, sont retenus sous la forme de tension musculaire dans le corps. En ce qui concerne le contrôle des sentiments, le diaphragme et les mâchoires (le muscle masticateur) jouent notamment un rôle important, vus par Lowen comme « herses de la personnalité », comme une clé pour tous les autres mécanismes de blocage dans le corps (Lowen, 1979). Notamment la peur et la colère ont un effet croissant et contraignant sur le tonus musculaire. Depuis le début des années 50, à partir de la recherche sur la psychosomatique grâce aux travaux d’Alexander, on sait que notamment des impulsions réprimées de l’affirmation de soi ou des élans hostiles réprimés ont des effets physiologiques directs et sont la cause de la formation somatique de symptômes. Depuis, une multitude de telles connexions psychosomatiques ont été démontrées d’une manière empirique (Heinrich, 1986).

Des peurs spécifiques et des mécanismes musculaires de protection se révèlent sur le plan de la structure du caractère. Des modèles de tension musculaire chronique qui doivent être vus comme la protection d’une personne contre la peur et la douleur apparaissent consécutivement à des traumas du développement (Reich, 1981; Lowen, 1985). Pour la première fois, Reich a parlé de « l’identité fonctionnelle du corps et de l’âme » en lien avec les postures émotionnelles de protection et désignait les tensions chroniques « cuirasse musculaire » (Reich, 1981). Cela désigne un mécanisme névrosé de tension musculaire chronique en tant que protection contre la peur et la douleur émotionnelle, qui n’est souvent pas conscient et qui est aussi commandé arbitrairement. En raison de l’absence de mobilité de la musculature, cela provoque une émotionnalité réduite (dans la prise de conscience, l’expression et le contrôle), ce qui limite la capacité de contact et de liaison d’un être humain. Cela s’applique également en général à la maitrise du stresse et du trauma (Lowen, 1985; Heinrich-Clauer, 2008). Chaque personne montre des modèles spécifiques de postures, d’expressions et de mouvements qui en fonction du vécu biographique des déficits, des traumas ou des conflits se basent sur des modèles spécifiques de tension musculaire. Ces modèles émotionnels se reflètent dans la mimique, la gestuelle, le timbre de voix, la posture corporelle, les modèles mobiles et respiratoires. Dans le traitement, l’exploration de ces modèles de tension peut fournir des renseignements sur les souvenirs sous-jacents implicites et sur des expériences émotionnelles. Différentes structures et différents modèles organisationnels peuvent apparaitre en fonction de la phase de développement et du type de crises émotionnelles à gérer, des étapes de maturation rendues difficiles ou entravées. Ici, ce sont surtout les mécanismes de protection inconscients somato-psychiques et les mécanismes de défense des intéressés qui aident par la tension musculaire à gérer la frustration, la peur (de la mort) et la douleur.

Il existe un consensus à ce sujet selon lequel chaque émotion est reliée à une excitation. Siegel (2006) parle même d’un « flux d’énergie », un terme à l’origine néo-reichien. L’émotion piloterait « le flux de l’activation (énergie) » (Siegel, 2006, p. 291). L’analyse bioénergétique découvre ici après des décennies une reconnaissance neuro-scientifique relative au concept du « flux d’énergie » et au travail centré sur les émotions, une « réhabilitation » du terme d’énergie. Nous trouvons le terme « agitation », qui définit le potentiel de modification des émotions intenses ou les composants énergétiques et corporels de l’émotion. Les émotions seraient « toujours un passage et une agitation, parfois des modifications raz-de-marée de l’état physique » (Damasio, 2005, p. 79). Elles précèdent les sentiments qui en résultent dans le conscient.

Geuter (2006) souligne « qu’une forte intensité émotionnelle peut avoir une valeur thérapeutique importante pour la restructuration de schémas émotionnels et moteurs de l’affect » (Geuter, 2006, p. 261s). D’autre part, des modifications ont le plus vraisemblablement lieu lorsque des stimuli sont placés dans une position médiane émotionnelle, sans être trop chargés de sensations de peur et d’agression (Oelmann, 2009, p. 174).

Une relation de confiance et lorsque c’est indiqué, un contact corporel réduisent la peur, la douleur et accroissent la tonicité musculaire et permettent de traiter et d’assouplir les modèles comportementaux et expérimentaux des patients.

Une fonction particulière de la voix est l’autoapaisement et l’apaisement de l’autre dans des situations menaçantes. Des relations sociales sûres (un regard amical, une voix apaisante, un contact corporel) ont un effet de détente et d’apaisement sur le nerf vague central (théorie polyvagale). L’expérience clinique, étayée par de nombreuses études de cas, plaide depuis des décennies pour l’inhibition de l’excitation et le freinage des impulsions d’attaque et de fuite par le contact corporel (Heinrich-Clauer, 2008). Il existe entre-temps des études physiologiques et neurobiologiques qui démontrent l’abaissement de la pression artérielle, du rythme cardiaque, une augmentation du seuil de la douleur par le contact corporel qui entre autres augmente le miroir à activité ocytocique.

Une respiration profonde améliore la mobilité de la musculature, l’auto-oscillation de notre corps – vibration et résonance – et facilite l’expression vocale. Une expression vocale libre crée un accès aux émotions, peut libérer des émotions retenues, animer et tonifier notre corps, fixer des limites – déplacer et toucher d’autres personnes.

La respiration profonde et l’expression motrice et vocale ont un effet apaisant sur la tonicité musculaire et aident à la gestion de la douleur (analyse bioénergétique).

L’auteure

Vita Heinrich-Clauer, Dr. rer. nat., Dipl.-Psych. 1981–88 Recherche et enseignement à l’université d’Osnabrück : Diagnostic psychologique, psychologie du développement. Depuis 1989, travaille en tant que psychothérapeute, coordinatrice, maitre de conférences, auteure à Osnabrück Formatrice internationale en analyse bioénergétique (IIBA Faculty) en Scandinavie, Allemagne, Russie, Pologne, Brésil, Suisse. Éditrice du « Manuel de l’analyse bioénergétique ».