Article inédit - Synthèse

Peter Lehmann

Franco Basaglia est-il encore d'actualité?

L’auteur s’intéresse à la manière dont les réformes prônées par le psychiatre italien Franco Basaglia (décédé en 1980) sont perçues aujourd’hui. Ce dernier avait considéré que l’institution psychiatrique, les étiquettes utilisées pour désigner les patients et leur exclusion de la société produisent des comportements maladifs. De plus, les intellectuels doivent être perçus comme pratiquant l’autosatisfaction dès lors qu’ils s’associent aux institutions au pouvoir et que, en prétextant aider les victimes de ce dernier, ils contribuent à leur destruction.

Des études récentes montrent que les personnes ayant été ‘clients’ de la psychiatrie ont une espérance de vie réduite en moyenne de vingt à trente ans. En outre, depuis de longues décennies le taux de mortalité dans ce groupe est en constante augmentation. Dans de nombreux cas, cette catastrophe peut être attribuée aux effets toxiques des neuroleptiques ; dans d’autres, les conditions précaires dans lesquelles vivent ces personnes – qui le plus souvent ne trouvent pas de travail – expliquent cet état de fait. Si l’on considère que leur mauvaise santé est la cause de leur décès précoce, on doit se demander si quoi que ce soit justifié de prescrire – et souvent d’imposer sous la menace et dans la violence – à ces patients vulnérables la prise de molécules psychopharmacologiques dangereuses et potentiellement toxiques. Cela n’empêche pas les psychiatres de prescrire ces neuroleptiques sans informer suffisamment les patients et sans que ceux-ci donnent leur accord. En particulier, il est rare qu’ils leurs indiquent quels sont les signes précoces qui pourraient faire que le traitement cause des dommages durables et même mortels.

De plus, les psychiatres et les psychologues exercent peu la critique et se déclarent favorables à la prise durable de neuroleptiques, sans doute parce qu’ils sont sponsorisés par l’industrie pharmaceutique. Ils vont jusqu’à cautionner des substances plus récemment développées, comme par exemple les neuroleptiques atypiques, en déclarant qu’elles ont peu d’effets secondaires.

La question de savoir si, aujourd’hui, la réforme prônée par Basaglia, y compris la collusion entre intellectuels et pouvoir, trouve une réponse évidente. Mais il ne s’agit pas uniquement de la faute morale commise par ceux qui travaillent en psychiatrie : il faut également prendre en compte le droit, civil et pénal.

La convention des Nations Unies sur les droits des personnes souffrant de handicap garantit à ces dernières l’égalité devant le droit. Dans la mesure où le domaine psychosocial est également touché par cet accord, il faut exiger que le groupe de professionnels qui contribue à la mortalité extrême des personnes souffrant de troubles psychiques soit, lui aussi, jugé : il est temps de les poursuivre au chef de complicité de coups et blessures éventuellement volontaires ou d’homicide, ceci au civil comme au pénal.