Psychotherapie-Wissenschaft 14 (2) 2024 7–8
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J’ai le plaisir de vous présenter à nouveau une revue des plus variée. Nous voulions faire de « la solitude » le gros titre de ce numéro et aborder le sujet sous les angles les plus divers, mais nous n’avons malheureusement pas trouvé suffisamment d’auteurs dans les délais impartis. Seuls deux articles traitent donc de ce sujet. En revanche, plusieurs contributions originales très intéressantes sont arrivées, couvrant un large éventail de sujets. C’est un bon signe pour une revue que de recevoir des contributions originales non sollicitées. Preuve qu’elle s’est établie comme organe de publication.
En guise d’introduction thématique, Mareike Ernst a rédigé un article sur le développement, les facteurs de risque et les mécanismes de protection employés contre la solitude tout au long de la vie et à un âge toujours plus avancé. Elle décrit la solitude comme un risque substantiel pour la santé. Si la recherche se concentre souvent sur l’âge avancé, la solitude se manifeste pourtant plus tôt, avec un premier pic au début de l’âge adulte. L’auteur ne se contente pas de décrire l’évolution de la solitude dans le contexte socioculturel, mais fait également le lien avec la psychothérapie, où le travail sur le thème de la solitude peut constituer un axe important pour l’atténuer et renforcer le mental des personnes concernées.
Helene Haker Rössler évoque la solitude dans le contexte des personnes souffrant d’un trouble du spectre autistique à l’âge adulte. L’autisme et la solitude semblent étroitement liés. Les personnes atteintes d’autisme ont tout autant besoin de lier des liens à autrui, mais il leur est plus difficile de forger ce lien. L’auteur entreprend une description du point de vue des modèles d’explication neuroscientifiques mécanistes les plus récents. Comment se forment les propres mondes spirituels des personnes concernées, qui sont si difficiles à faire coïncider avec les mondes spirituels d’autres personnes ? Elle évoque les possibilités d’échapper à la solitude ainsi que la capacité d’entrer en relation avec autrui. L’article est écrit du point de vue de personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique qui ont osé s’engager et se sont frayé un long chemin hors de leur propre monde vers le monde étrange des autres.
Julia Winkler et Brigitte Schigl présentent quant à elles un projet de recherche qui a examiné les facteurs d’influence sur le développement d’un trouble alimentaire boulimique. Cette recherche visait à savoir si les personnes concernées voyaient un lien entre leur maladie et leur relation avec leur mère ou quelles autres explications les filles pouvaient donner au développement de leur maladie. Pour ce faire, cinq femmes boulimiques ont été interrogées sur leur maladie et leur relation avec leur mère par le biais d’entretiens narratifs. Les données recueillies ont ensuite été analysées à l’aide d’une méthode documentaire, en procédant à une interprétation formulatrice et réflexive et, à la dernière étape de l’évaluation, à une analyse comparative. Les résultats montrent que les mères ont une influence sur le développement de la maladie aux yeux de leurs filles. Toutefois, d’autres aspects ont pu être constatés, comme l’influence des moqueries au sein et en dehors de la famille ou l’utilisation des médias sociaux.
Eric Pfeifer reprend le thème actuel pour son article « Crise climatique, nature et psychothérapie ». La nature et l’expérience de la nature sont des éléments constitutifs importants d’un développement humain sain et conditionnent de manière positive la santé psychique et physique. Les crises mondiales, comme le changement climatique ou la dégradation de l’environnement, ont également un impact sur la santé humaine. Les chambres et associations de psychothérapie lancent donc un appel aux psychothérapeutes pour qu’ils se penchent sur le thème du changement climatique. L’article contient une vignette de cas correspondante tirée de la pratique psychothérapeutique ainsi qu’une brève présentation de l’étude clinique « Marche psychothérapeutique dans la nature pour les patient(e)s atteint(e)s de dépression ». La psychothérapie dispose des potentiels nécessaires pour pouvoir s’engager en tant qu’« Agent of Change » efficace au sein du discours « climat – nature – santé mentale ».
Jean Schulthess Watt se consacre au thème de l’utilisation de substances psychotropes en psychothérapie, telle qu’elle est pratiquée dans différentes cliniques psychiatriques dans le cadre de projets de recherche. Les résultats de la recherche indiquent que les patients pourraient en tirer profit en combinaison avec une psychothérapie. L’auteur constate un nouvel engouement pour cette pratique depuis les années 1990. De la même manière que d’autres psychotropes sont utilisés, les substances psychotropes pourraient également devenir une nouvelle norme de choix et obtenir des résultats encore plus probants. L’article contient un résumé historique de l’utilisation de substances psychotropes en psychothérapie et de la manière dont celle-ci a été contrecarrée par la politique américaine en matière de drogues et de santé, en particulier au détriment de la recherche et des patient(e)s. L’auteur écrit certes dans sa langue maternelle anglaise, mais dans un anglais simple et facile à comprendre. Pour les lecteurs francophones et germanophones, nous proposons un résumé plus long.
Christoph Eichert présente une étude sur l’intégration de différentes approches psychothérapeutiques dans la pratique thérapeutique quotidienne. Des psychothérapeutes d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse ont été interrogé(e)s dans le but d’examiner si l’intégration des méthodes, discutée dans la science de la psychothérapie, se reflète dans la pratique psychothérapeutique. Un concept issu de la thérapie intégrative sur les facteurs de guérison, les modalités et les modalités relationnelles, les médias et les niveaux de structure sert de grille de référence. Les psychothérapeutes pratiquant une deuxième méthode, la psychothérapie intégrative, et les psychothérapeutes suisses, où cette méthode est plus répandue, accordent une plus grande importance pratique aux modalités (relationnelles), aux médias et aux niveaux structurels.
Christa Futscher se consacre à un thème de recherche important. Elle a étudié le développement individuel des chercheurs comme facteur de « scientificité ». Pour le fondement scientifique de la psychothérapie, l’abandon de cette prétendue objectivité est particulièrement important. L’idée de base consiste à reconnaître les processus d’échange enchevêtrés, récursifs, intersubjectifs et sociaux dans leurs fonctions et structures de base et à décrire leurs dynamiques. L’espace dans lequel se déroulent ces processus, qui maintiennent sans cesse en activité l’imagination et la quête de connaissance de l’Homme, est primordial. Le recours à des fonctions et structures centrales de base permet de les séparer des contenus concrets de la recherche et de reconnaître ainsi ce qui est général et personnel dans le processus de recherche.
Dans le cadre d’une discussion au sein de notre équipe rédactionnelle sur la base scientifique de la psychothérapie et sur le titre de notre revue, il est apparu clairement que les plus jeunes collègues de Suisse ne savent plus guère que la psychothérapie a été considérée comme une discipline scientifique à part entière du côté de l’ASP et de la Charte suisse pour la psychothérapie et que l’on s’est également mobilisé pour une législation correspondante, malheureusement sans succès. La compréhension selon laquelle la psychothérapie est une spécialisation psychologique, comme la psychiatrie en médecine, est trop bien établie dans ce pays. Or, ce n’est pas le cas dans tous les pays européens. Nous avons donc trouvé utile de jeter un coup d’œil au-delà du cadre national. Miran Možina s’est chargé de donner un aperçu des réglementations en matière de psychothérapie dans différents pays européens où la psychothérapie est réglementée en tant que profession scientifique indépendante ou où des procédures législatives sont en cours. Nous espérons volontiers que cette contribution remettra en cause le regard sur ce qui est devenu ici une évidence et qu’elle élargira l’horizon vers la compréhension de la psychothérapie en tant que bien culturel scientifique. Cet article est publié en anglais (l’auteur est slovène) et traduit en français.
Dans le dernier numéro (PTW 1/2024, p. 9–17) est paru un article de Kurt Greiner sur « La psychothérapie, médecine textuelle ». L’éditorial et l’auteur invitent à la discussion. Nous apportons cette fois-ci deux répliques critiques. L’une est signée de Jürgen Kriz, un chercheur en psychothérapie bien connu, l’autre de Gerhard Burda, un collègue psychothérapeute de Kurt Greiner à l’université SFU. Le débat public qui a été lancé mérite d’être poursuivi.
Pour finir, nous publions un sondage auprès des membres de l’ASP en guise d’écho de lecture. À la demande et en accord avec le comité directeur de l’ASP, Peter Schulthess a réalisé une enquête auprès des lecteurs qui devrait permettre de déterminer le degré d’ancrage de la revue. En effet, suite à des mesures économiques nécessaires au sein de l’ASP en raison d’activités politiques professionnelles coûteuses, la poursuite de la revue est menacée. L’enquête montre que la PTW est bien connue, lue et appréciée des participants. Certains membres individuels et collectifs sont prêts à verser une contribution financière supplémentaire bénévole pour assurer la pérennité de la revue PTW.
Enfin, vous trouverez trois critiques de livres. L’une concerne un ouvrage fondamental sur la science de la psychothérapie de Kurt Greiner, une autre est consacrée à la biographie de l’anthropologue social Francis Huxley et la dernière discute en italien d’un livre de Lindsay Gibson sur les blessures des enfants adultes de parents émotionnellement immatures.
Je vous souhaite une lecture motivante.
Peter Schulthess