Constructions de patientes boulimiques sur les facteurs influençant le développement de leur trouble alimentaire
Julia Winkler & Brigitte Schigl
Psychotherapie-Wissenschaft 14 (2) 2024 37–38
www.psychotherapie-wissenschaft.info
https://doi.org/10.30820/1664-9583-2024-2-37
Mots clés : troubles alimentaires, boulimie nerveuse, théories subjectives de la maladie, relation mère-fille, recherche qualitative
Depuis que la boulimie a été décrite comme un trouble alimentaire à part entière dans les années 1980, les auteurs se sont penchés sur les causes et l’évolution de ce problème. La première génération de psychothérapeutes féministes a interprété la boulimie comme une expression de l’adaptation et en même temps du rejet de l’image traditionnelle de la femme, qui se reflète dans les symptômes de la maladie : à l’extérieur, un accomplissement souvent parfait des exigences, mais dans les crises secrètes de boulimie et de vomissements, une énergie destructrice qui se retourne contre elle-même (Focks, 1994 ; Keppler, 1995 ; Langsdorff, 1995 ; Becker, 1998 ; etc.). Les observations cliniques montrent que les patientes souffrant de boulimie font souvent état d’une relation intense mais hautement ambivalente avec leur mère, caractérisée par une dépendance (mutuelle), mais aussi par un désir d’indépendance et d’autonomie. La psychodynamique particulière se traduit par une relation intense, même si elle est latente et très conflictuelle, dans laquelle il n’est pas possible de communiquer ouvertement (Reich, 2010). Des études empiriques montrent également que les mères ont une influence évidente sur le comportement alimentaire de leurs filles. Les mères contrôlent davantage leurs filles que leurs fils en ce qui concerne l’alimentation, elles transmettent également leurs propres comportements alimentaires dysfonctionnels à leurs filles plus qu’à leurs fils (Blissett et al., 2006). Les mères de filles boulimiques leur transmettent souvent l’importance de correspondre à un idéal corporel mince et s’efforcent elles-mêmes d’y parvenir (Brun et al., 2020). Par ailleurs, des études récentes soulignent l’importance des médias sociaux, qui propagent généralement un idéal de beauté irréaliste et dévalorisent souvent les personnes qui ne correspondent pas à cet idéal.
L’objectif de la présente étude était donc d’examiner la relation entre les filles boulimiques et leurs mères du point de vue de la fille. Cette recherche visait à savoir si les personnes concernées voyaient un lien entre leur maladie et leur relation avec leur mère ou quelles autres explications les filles pouvaient donner au développement de leur maladie. Pour ce faire, cinq femmes boulimiques ont été interrogées sur leur maladie et leur relation avec leur mère par le biais d’entretiens narratifs. Les données qualitatives recueillies ont ensuite été analysées à l’aide d’une méthode documentaire, en procédant à une interprétation formulatrice et réflexive et, à la dernière étape de l’évaluation, à une analyse comparative.
Les résultats montrent que les mères ont une influence sur le développement de la maladie aux yeux de leurs filles : toutes les personnes interrogées ont cité d’elles-mêmes (sans qu’on leur demande) la relation avec leur mère comme un facteur d’influence majeur de leur comportement alimentaire. De même, toutes les personnes interrogées ont fait état d’une relation ambivalente avec leur mère. Dévalorisées de leur part, elles ont tout de même essayé de leur plaire, de leur ressembler ou de les protéger. Certaines mères semblent avoir un côté affectueux et amical, ainsi qu’un côté méchant et désagréable, ce qui apparaît également dans les entretiens dans la désignation « mère » pour les parties négatives, « maman » pour les parties affectueuses et positives. Presque toutes les patientes rapportent des commentaires négatifs et critiques de leurs mères à leur égard, certaines mentionnent également l’importance que les mères elles-mêmes accordent à leur propre silhouette et à leur minceur (qu’elles atteignent leurs objectifs ou pas). Elles adoptent pour elles-mêmes et leur fille l’idéal de minceur dominant dans la société sans exprimer aucune critique à son égard. Certaines mères présentent elles-mêmes un comportement alimentaire restrictif aux yeux de leur fille. Cependant, toutes les personnes interrogées font état de commentaires négatifs non seulement de la part des mères, mais également de la part des partenaires, des pairs ou d’autres membres de la famille. Certaines rapportent également des expériences de harcèlement en raison de leur apparence et de leur physique, à la fois directement et via les médias sociaux. Presque toutes soulignent l’importance des évitements sociaux pour elles et l’idéal de femme et de beauté qui y est véhiculé de manière prédominante.
L’étude démontre que l’influence de l’environnement social sur les filles boulimiques, et en priorité de la mère, est très élevée de leur point de vue. Les résultats mettent en évidence l’importance d’un regard sensible au genre dans le traitement des femmes boulimiques. En effet, les mères comme les filles sont soumises au diktat d’un beau corps, c’est-à-dire d’un corps mince, et sont concernées de la même manière par l’idéal de beauté imposé par la société. Il convient toutefois de garder à l’esprit que toutes les influences mentionnées, les mères, les pairs, la famille et les médias sociaux, contrairement aux résultats de cette étude portant sur des femmes atteintes de troubles alimentaires, pourraient également avoir un effet positif. Les mères et autres modèles féminins pourraient avoir un effet d’encouragement, les pairs un effet de soutien et les contenus alternatifs en ligne, voir le mouvement « body positivity », pourraient donner aux jeunes femmes des exemples de perception plus amicale de leur corps. Pour la recherche future dans ce domaine, il serait donc souhaitable de mettre davantage l’accent sur de tels effets préventifs possibles.
Note biographique
Julia Winkler, BSc, étudie actuellement la psychologie dans le cadre du programme de master.
Prof. Dr Brigitte Schigl, MSc, est psychothérapeute (thérapie corporelle intégrative et thérapie intégrative) en cabinet libéral depuis 30 ans, enseignante en thérapie intégrative et superviseur. Elle travaille dans le domaine de la recherche en psychothérapie et est spécialisée dans le genre, à l’université privée Karl Landsteiner pour les sciences de la santé et à l’université de formation continue de Krems.
ORCID: https://orcid.org/0000-0001-9646-3074
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Corresponding author: brigitte.schigl@aon.at