Comment surmonter l’isolement autistique
Hélène Haker
Psychotherapie-Wissenschaft 14 (2) 2024 27–28
www.psychotherapie-wissenschaft.info
https://doi.org/10.30820/1664-9583-2024-2-27
Mots clés : troubles du spectre autistique, conscience, traitement des informations, isolement, relation
Contrairement à la croyance populaire, les personnes atteintes d’autisme aimeraient avoir des relations sociales. Leurs difficultés innées à s’insérer spontanément dans l’interaction avec d’autres personnes, en particulier dans des groupes, et à rendre leur monde intérieur accessible par la communication, les empêchent d’entrer en contact avec d’autres personnes et de développer ce contact en relations stables. Si ce processus est plus difficile, il n’est cependant pas impossible. Si les conditions sont favorables et que les efforts de l’essai à nouer des liens sont sérieux et persévérants, des partenariats étroits et des amitiés profondes peuvent être créés. Un regard sur le pathomécanisme qui se cache derrière le trouble du spectre autistique explique d’où viennent les difficultés et comment comprendre la particularité des relations des personnes autistes.
Le trouble du spectre autistique se caractérise par des déficits dans l’interaction sociale et la communication, ainsi que par des modèles de comportement répétitifs, restrictifs et inflexibles. Les particularités se manifestent dès le début du développement et marquent les personnes concernées tout au long de leur vie. Les difficultés concrètes se font sentir à des moments différents et à des degrés divers, en fonction des circonstances de vie et des capacités d’adaptation des personnes concernées, et conduisent alors généralement à des problèmes psychiatriques secondaires.
Le contexte est un trouble inné du traitement des informations. Les stimuli sensoriels ne sont pas suffisamment intégrés dans une image globale qui fait sens et rendent ainsi difficile la maturation d’une représentation pondérée optimale de l’environnement et de soi-même. L’image mentale inhomogène du monde qui en résulte se caractérise par une surreprésentation à haute résolution de domaines connus, explorés de manière répétitive, et par une grande naïveté par rapport à ce qui n’a pas encore été vécu. L’imagination pour les choses en dehors du connu est limitée et les réactions intuitives aux nouvelles situations sont plus difficiles. Le regard autiste est orienté vers le domaine proche, sur lequel l’individu se focalise dans l’instant présent, avec une vue d’ensemble plus difficile sur le contexte plus large.
En fonction de l’environnement individuel et de l’expérience de vie et d’apprentissage, la conscience d’une personne autiste mûrit en une structure unique, difficilement comparable à celle d’autres personnes. Le monde apparaît donc à toutes les personnes concernées à travers un filtre particulier. C’est la source primaire de l’isolement autistique : leur monde intérieur intrinsèque, à partir duquel il est difficile de communiquer avec des personnes qui perçoivent, évaluent et réagissent différemment à beaucoup de choses.
Une source secondaire de solitude est l’incompréhension dont ils font l’objet de la part des personnes non autistes. Il n’est pas intuitivement compréhensible pour la plupart des gens que certaines personnes expérimentent le monde de manière fondamentalement différente. En conséquence, leur vécu est souvent nié et peu de patience est consacrée à la compréhension de ce monde intérieur étranger.
Au fur et à mesure que les personnes concernées évoluent, elles en viennent ainsi souvent à remettre en question leur propre ressenti et à se dévaloriser en raison des difficultés qu’elles ont vécues. Il n’est pas rare que les personnes autistes répriment le désir primaire de relation pour se protéger. Mais si elles trouvent un vis-à-vis, autiste ou non, qui fait preuve d’impartialité, d’ouverture et de curiosité pour le monde de l’autre et qui, de son côté, est ouvert à partager explicitement ses pensées et ses sentiments, même des mondes intérieurs qui ne se chevauchent guère, peuvent créer un point de contact dans la rencontre momentanée. Si les deux interlocuteurs portent un intérêt à cette rencontre, elle peut devenir le point de départ d’une découverte mutuelle intense. Celle-ci ne sert pas seulement à comprendre l’autre, mais tout autant à se découvrir soi-même à travers l’autre. De cette manière, les esprits autistes créent des représentations d’autrui qui peuvent atteindre une profondeur et une précision rarement rencontrées chez d’autres personnes. Bien connaître ses besoins et ses limites pour y rester fidèle permet de créer la stabilité intérieure et la sécurité nécessaires à de telles rencontres. En osant soigneusement les rencontres, ces conditions peuvent mûrir et les personnes concernées font l’expérience de faire partie de quelque chose de plus grand et de transcender leur isolement autistique dans ces moments-là.
Note biographique
PD Dr med. Helene Haker a étudié la médecine et obtenu son doctorat à Zurich, a suivi une formation de médecin spécialiste à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich et à l’Institut Klaus Grawe, et a passé son habilitation à l’Université de Zurich sur le thème de « La capacité d’empathie dans la schizophrénie et d’autres troubles psychiatriques ». Après une période en « neurosciences computationnelles » de 2012 à 2018, elle prend la direction médicale et la mise en place du service ambulatoire de recherche à la Translational Neuromodeling Unit (UZH/EPF Zurich). Elle travaille aujourd’hui dans son propre cabinet spécialisé dans l’autisme chez les adultes et comme chargée de cours à l’UZH et à l’EPF Zurich.
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