Comment exprimer le vécu intérieur et l’impact des structures sociales ?

Une réplique à Kurt Greiner « La psychothérapie, médecine textuelle »

Jürgen Kriz

Psychotherapie-Wissenschaft 14 (2) 2024 109–110

www.psychotherapie-wissenschaft.info

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2024-2-109

Mots clés : psychothérapie, expérience subjective, médecine textuelle, objectivité, science naturelle, science de l’esprit, théorie systémique centrée sur la personne, science structurelle, archétypes, synergétique

Dans cette réplique à un article de Kurt Greiner sur « La psychothérapie, médecine textuelle », deux aspects sont soumis à la discussion.

D’une part, il s’agit de savoir ce que peuvent signifier les deux éléments verbaux « texte » et « médecine » et quel effet ils produisent. Il est vrai que l’on part tout d’abord d’une grande concordance avec la position formulée par Greiner, à savoir que la psychothérapie est de plus en plus poussée par des dynamiques sociales et économiques puissantes dans un contexte d’interprétation dans lequel tout doit être évalué non seulement en fonction d’une utilité objective, instrumentale et économique, mais aussi que les structures partiellement appropriées pour un système médical sont ainsi simplement placées sur le domaine d’objet de la psychothérapie. Les dimensions objectivement mesurables de la pathologie et de ses modifications sont ainsi mises en avant de manière unilatérale et les questions relatives aux causes et aux liens biopsychosociaux entre la souffrance humaine et les processus de sens et de compréhension sont largement ignorées. En partant de cette critique, on peut toutefois se demander si le « texte » et la « médecine » ne renforcent pas encore cette vision médico-technique du monde et si ces deux termes ne sont donc pas plutôt mal choisis (même s’ils sont interprétés différemment par Greiner). Cela soulève la question de savoir s’il ne faut pas faire une plus grande distinction entre (a) la psychothérapie en tant qu’objet de la science, qui se situe donc dans le domaine des systèmes symboliques culturels et objectifs et (b) la psychothérapie en tant qu’action créatrice de relations, qui doit d’abord ou du moins aussi se focaliser sur l’expérience corporelle et prélinguistique.

Le deuxième aspect soumis à la discussion porte sur la relation entre les différentes cultures scientifiques. L’opposition faite par Greiner entre sciences humaines et sciences naturelles est certes partagée sur le plan de la méthode, mais elle est remise en question sur le plan du contenu. En effet, même les objets et les principes des phénomènes traités par les sciences naturelles sont en fin de compte des créations de l’esprit humain. Il est à noter que ce que nous entendons aujourd’hui communément (surtout dans le langage courant) par « sciences naturelles » doit de toute façon être considéré comme le programme d’une minorité d’hommes (« occidentaux ») dans une période relativement courte (env. du 16e au 19e siècle). Dans d’autres cultures et à d’autres époques, l’effort de connaissance n’était pas aussi unilatéralement orienté vers la maîtrise de la « nature », mais vers sa compréhension, ceci afin de pouvoir mieux agir en harmonie avec elle. Et même dans notre culture, à côté d’une science « des choses de la nature », on pratiquait aussi une science « de la nature des choses ». Ainsi, par exemple, le psychologue C. G. Jung et le physicien quantique Wolfgang Pauli, dans leurs travaux communs et leurs échanges épistolaires datant de 1950 (dont l’importance, en tant que « dialogue Jung-Pauli », n’a été reconnue et largement discutée que dans les années 1990), ont posé la question des archétypes de l’activité spirituelle humaine dans la « connaissance du monde », à laquelle on ne peut répondre ni par les sciences humaines ni par les sciences naturelles (au sens habituel du terme), mais qui met fortement l’accent sur les aspects des sciences structurelles, qui peuvent ensuite être utilisés pour des discours sur les phénomènes aussi bien dans les sciences naturelles que dans les sciences humaines et sociales. Il en résulte que les cultures scientifiques que Greiner oppose si fortement peuvent aussi être considérées comme beaucoup plus imbriquées les unes dans les autres.

Note biographique

Le professeur Jürgen Kriz est professeur émérite de psychothérapie et de psychologie clinique à l’université d’Osnabrück, mais a également occupé pendant plus de 25 ans des postes de professeur de statistiques et de méthodes de recherche. Il est membre d’honneur de plusieurs associations psychothérapeutiques, a été professeur invité à Vienne, Zurich, Berlin, Moscou, Riga et aux États-Unis, et est l’auteur de plus de 20 livres et de 300 articles spécialisés. De 2004 à 2008, il a été membre du conseil WBP.

Contact

Prof. Dr. Jürgen Kriz
Universität Osnabrück
Institut für Psychologie Seminarstr. 20, Poststelle D-49074 Osnabrück
kriz@uos.de