Psychothérapie humaniste en Allemagne

Rapport sur un blocage

Jürgen Kriz

Psychotherapie-Wissenschaft 13 (2) 2023 83–84

www.psychotherapie-wissenschaft.info

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2023-2-83

Mots clés : psychothérapie humaniste, conseil scientifique pour la psychothérapie, expertise WBP, recherche en psychothérapie, modèle contextuel, évaluation, démonstrabilité, caractère scientifique, conception RCT

Cela fait cinq ans que le « Conseil scientifique pour la psychothérapie » (WBP) allemand a non seulement refusé dans une expertise la psychothérapie humaniste en tant que « procédure scientifiquement reconnue », mais a même retiré en 2002 à la psychothérapie des entretiens déjà reconnue par la WBP la « recommandation de formation approfondie ». Cette évaluation a fini par marquer un temps d’arrêt à la suite de protestations de nombreux scientifiques et institutions à leur encontre, du fait que le WBP s’abstient de toute discussion sur cette critique et les évaluations contestées.

Cette contribution prend le prétexte de cette date anniversaire de cinq ans pour présenter un rapport des contextes et des circonstances de ce blocage de la psychothérapie humaniste en Allemagne. Car même dans leur propre pays – et davantage encore dans d’autres pays – la plupart des gens, y compris des membres de la profession, ne sont pas familiarisés avec la procédure de reconnaissance et d’agrément qui a été établie depuis la loi allemande sur les psychothérapeutes (PsychThG) en 1999. Les règles de cette dernière ont surtout été développées dans le nouveau « Conseil scientifique pour la psychothérapie » (WBP) créé par la PsychThG. Ce dernier est depuis lors presque exclusivement constitué de fonctionnaires pouvant être rapportés aux deux « procédures de directives » – thérapie du comportement et psychothérapie psychodynamique. Bien que ces deux procédures eussent elles-mêmes été définies en 1999 sans le moindre examen dans la procédure de législation comme « scientifiquement reconnues » et bien que le WBP ne dût, selon la loi, conseiller les autorités administratives du Land qu’« en cas de doute », le WBP a désormais développé une procédure complexe et très critiquée pour définir les critères qu’il aimerait voir satisfaits pour une « reconnaissance scientifique ».

Pour éclairer le contexte, la contribution montre qu’une taxonomie unique au monde de « procédures » et de « méthodes » a constitué une base essentielle pour le refus de la psychothérapie humaniste par le WBP. Celle-ci serait certes, selon le WBP, une orientation de base internationalement reconnue mais, contrairement aux 21 méthodes de la psychothérapie psychodynamique et aux quelques 50 méthodes de la thérapie du comportement, ne présenterait pas une procédure unifiée. Bien que la décomposition d’une procédure en plusieurs approches isolées ait été explicitement exclue dans le document décrivant les méthodes du WBP, le WBP a procédé exactement de cette manière dans le cas de la psychothérapie humaniste : contrairement à la demande émise et en violant ses propres règles, il a d’abord retiré les études de la psychothérapie des entretiens du paquet des études complet. Il a alors constaté que (à part une) les études reconnues par le WBP 2002 ne pouvaient désormais plus être reconnues. De ce fait – et du fait de l’exclusion d’autres études – la liasse a, malgré 18 études nouvellement « reconnues », été réduite de telle façon qu’une (!) étude manquait désormais dans le domaine des troubles anxieux. Il a vu dans ce fait un motif d’annoncer qu’il ne pouvait désormais plus recommander la psychothérapie des entretiens en tant que procédure pour la formation approfondie.

Un tel verdict signifie factuellement l’élimination de cette approche : ceci se manifeste dans le fait que, quelques jours seulement après cette expertise, toute mention de la psychothérapie des entretiens avait été éliminée d’une nouvelle édition de la brochure destinée aux patients de la Bundespsychotherapeutenkammer (BPtK), la chambre fédérale des psychothérapeutes. La nouvelle expertise du WBP a – selon les termes du président du tribunal social du Land – « coupé l’herbe sous le pied » d’une action judiciaire intentée par des psychothérapeutes des entretiens contre le G-BA (Comité fédéral commun), qui était sur le point d’aboutir. La plainte a été sur ces entrefaites retirée parce que vouée à l’échec. Et la psychothérapie des entretiens n’a, du fait de l’expertise du WBP, plus pu être citée parmi les « procédures scientifiquement reconnues » lors du lancement en 2018 des négociations relatives à la mise en œuvre de la nouvelle loi sur les psychothérapeutes (de 2020). L’expertise du WBP a ainsi eu de graves effets sur la politique de la profession. Le WBP souligne cependant que seuls des motifs scientifiques et aucun motif relatif à la politique de la profession avaient eu de l’influence sur les décisions contestées. Tout ceci contraste fortement avec le fait que la quasi-totalité des professeur-e-s d’université qualifié-e-s avaient demandé en 1998, les 15 chambres régionales en 2002/03 et en 2010 à nouveau une commission d’experts convoquée par la BPtK avaient exigé la reconnaissance immédiate de la psychothérapie des entretiens en tant que procédure de directive allemande.

Après avoir éclairé le contexte de l’expertise WBP, le présent article se focalise sur les publications faites à compter de 2018 – donc après l’expertise WBP. On montre ici que de nombreuses autres publications plaident en faveur de la psychothérapie humaniste et ne sont en rien inférieures aux « procédures de directive » autorisées en Allemagne si elles sont évaluées équitablement. C’est ainsi que le « Comité fédéral commun » (G-BA) s’est prononcé en faveur d’un arrêt de la procédure après environ onze ans de contrôle de la psychothérapie psychodynamique et de la thérapie du comportement. Dans les « principaux motifs » avancés pour cette décision, le G-BA énonce que ces deux procédures de directive ne remplissaient pas elles-mêmes des critères essentiels – raison pour laquelle le WBP avait rejeté la psychothérapie humaniste. L’auteur de ces contributions souligne cependant expressément que son point de vue ne consiste pas à considérer par là que ces deux procédures de directive seraient elles-mêmes non-scientifiques ou inefficaces. Elle consiste bien au contraire à montrer que le G-BA considère également que les critères de « reconnaissance »de thérapie en Allemagne sont contestables.

Nous rapportons également d’une nouvelle méta-étude dans l’ouvrage considéré au plan international Garfield & Bergin’s Handbook of Psychotherapy and Behavior Change, qui confirme maintenant dans cette 7e édition de 2021 l’essentiel de la méta-étude de la 6e méta-étude de 2013 : la psychothérapie humaniste est aussi efficace que les autres procédures. Notamment la supériorité sans cesse affirmée de la thérapie du comportement repose largement sur des artefacts méthodiques des études menées par des thérapeutes du comportement. C’est un point que Wampold, de son côté, n’avait jamais cessé de démontrer dans le cadre de ses analyses du « modèle contextuel » de la psychothérapie. Dans la nouvelle édition enrichie de 2015 (et en allemand en 2018), cet ouvrage souligne une fois de plus les résultats constatés et les arguments. Il apporte ainsi un soutien aux concepts contextuels du traitement psychothérapeutique, sur lesquels la psychothérapie humaniste repose également. C’est également Wampold qui, dans une expertise poussée réalisée en 2021, avait exposé de nombreux aspects critiques contre le « document de méthode » du WBP. Comme le WBP n’a jusqu’à présent pas été prêt à se soumettre à une discussion portant sur son évaluation de la psychothérapie humaniste au vu de tels résultats, du moins les associations de la psychothérapie des entretiens ont décidé en 2023 de déposer une nouvelle demande au WBP. Toujours est-il que cette approche a déjà été « reconnue » et a joué jusqu’en 1999 un rôle considérable dans les universités allemandes.

En dépit des longues années de blocage de la psychothérapie humaniste en Allemagne, cette contribution s’achève sur une légère espérance : il y a des indices que le point de vue et les arguments de Wampold et les nombreux résultats obtenus, concluant à l’efficacité de la psychothérapie humaniste, viennent également en Allemagne alimenter les discussions sur la psychothérapie, et que la position isolée de l’Allemagne consistant à exclure la psychothérapie sera ainsi surmontée. Ce serait une bonne chose que la psychothérapie humaniste ne soit plus tant considérée comme une concurrence à combattre mais comme un enrichissement de l’offre thérapeutique aussi bien pour les patient-e-s, que pour le progrès de la psychothérapie dans son ensemble.

L’auteur

Prof. Dr. Jürgen Kriz est un professeur émérite pour la psychothérapie et la psychologie clinique à l’université d’Osnabrück, mais avait également été pendant plus de 25 ans titulaire de chaires professorales en statistique et en méthode de recherche. Il est membre honorifique de nombreuses associations spécialisées en psychothérapie, a été entre autres professeur invité à Vienne, Zurich, Berlin, Moscou, Riga et aux États-Unis. Il est l’auteur de plus de 20 livres et de 300 contributions spécialisées. Il a été membre du WBP de 2004 à 2008.

Contact

Prof. Dr. Jürgen Kriz
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