Le défi de la psychiatrie et de la psychothérapie face à la crise de l’image de soi moderne1

Daniel Hell

Psychotherapie-Wissenschaft 13 (2) 2023 71

www.psychotherapie-wissenschaft.info

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2023-2-71

Mots-clés : psychiatrie, psychothérapie, culture, société, réforme de la psychiatrie, individualisation, aliénation, dépression

La psychiatrie et la psychothérapie sont particulièrement dépendantes de la culture dominante. Au cours du dernier demi-siècle, pendant lequel l’auteur a travaillé comme professeur d’université, chef de clinique et thérapeute dans son propre cabinet, la psychiatrie et la psychothérapie ont subi de nombreux changements. En tenant compte de l’évolution de la société et des modifications de l’image que l’homme a de lui-même qui en découlent, l’auteur se penche sur l’évolution des formes de maladies psychiques.

Ce changement est lié à l’évolution des exigences vis-à-vis de sa propre personne, de l’environnement et de la vie, mais aussi à une modification de l’image de soi. Si aujourd’hui le soi en tant que concept est de plus en plus mis en avant en psychologie et en philosophie, cela peut aussi être le signe d’une perte de l’évidence de ce « soi ». Cette possibilité doit être prise d’autant plus au sérieux que l’expérience de soi n’est pas directement favorisée par la neurobiologie ni par la numérisation.

Les progrès de la numérisation permettent de traiter de plus en plus de données entre elles. Cela profite aussi bien aux analyses économiques qu’aux analyses scientifiques empiriques, qui déterminent de plus en plus le quotidien psychiatrique. Malgré tous les bénéfices de telles enquêtes, le patient individuel passe au second plan. Pourtant, la réforme psychiatrique de la seconde moitié du 20e siècle a tenté de se rapprocher du patient individuel et de mieux le comprendre, notamment en créant des unités familiales plus petites dans les services hospitaliers, en encourageant les structures ambulatoires et semi-hospitalières et en rapprochant généralement les soins psychiatriques du domicile des patients et de leurs proches. Cette décentralisation (sous le terme de psychiatrie de proximité ainsi que régionalisée et sectorisée) a aujourd’hui fait place à une centralisation des soins avec de grandes cliniques ou des groupements de cliniques. Cela s’accompagne d’un certain éloignement des patients de la direction médicale.

Le fait que de grands nombres ne favorisent pas la familiarité avec les patients vaut également pour la recherche empirique. Elle s’appuie davantage sur des questionnaires validés que sur des entretiens personnels. Les recherches casuistiques sont rares. Pour des questions aussi complexes que celles qui se posent dans le traitement psychiatrique-psychothérapeutique, ce ne sont toutefois pas seulement les connaissances statistiques qui sont importantes, mais surtout la relation avec chaque patient. Seule une connaissance des problèmes personnels d’un patient et de son attitude biographique et culturelle face à ces problèmes permet d’évaluer comment les différents facteurs d’influence interagissent dans un cas individuel et comment il faut éventuellement interpréter les résultats statistiques, qui sont largement dispersés pour la plupart des méthodes de traitement.

On constate déjà aujourd’hui une tendance à la réification des sentiments et une préoccupation accrue pour l’estime de soi. Ainsi, les sentiments de culpabilité sont aujourd’hui plus rares chez les personnes gravement déprimées. Parallèlement, les personnes dépressives luttent plus souvent contre des insultes et l’estime de soi blessée. Le « soi » est également compris principalement de manière réflexive, comme un objet. Les parties préréflexives, pour ainsi dire corps et âme, reçoivent également peu d’attention dans les psychothérapies. Cette tendance pourrait encore être renforcée par la numérisation et le big data. Il est donc d’autant plus important de se pencher sur l’avenir de la psychiatrie et de la psychothérapie en connaissant leur histoire.

L’auteur

Prof. Dr. med. Daniel Hell est professeur émérite de psychiatrie à l’université de Zurich. De 1991 à 2009, il a été directeur de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich. Sa spécialité est la dépression. Depuis 2009, il travaille à la clinique privée Hohenegg à Meilen. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages spécialisés et non spécialisés, dont certains ont été traduits en huit langues. Dernièrement, il a publié 2022 : Das Selbst in der Krise – Krise des Selbst [Le soi en crise – crise du soi] (www.daniel-hell.com).

Contact

daniel.hell@hohenegg.ch

1 Cet article est basé sur le manuscrit de ma conférence du 5.11.2022 à l’Institut C. G. Jung de Zurich dans le cadre du congrès « Psychothérapie et société en temps de troubles ».