Psychotherapie-Wissenschaft 13 (2) 2023 7–8
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Vous trouverez dans cette édition plusieurs contributions visant, comme cela semble absolument nécessaire, à élargir les perspectives de la psychothérapie et de la recherche. Alors que la perspective de la psychothérapie individuelle est principalement introvertie, les deux premières contributions se basent aussi dans le même temps sur l’extroversion, c.-à-d. sur les circonstances extérieures respectives des patient-e-s et des thérapeutes. L’ensemble du contexte passe ainsi dans l’angle de vue de la psychothérapie. Ce cahier contient des travaux de recherche empiriques et qualitatifs ainsi que deux passionnantes contributions visant à alimenter le débat sur la politique de la recherche.
Dans la première contribution, la psychothérapeute Christa Futscher met des citations de C. G. Jung datant des années 1930 en liaison avec des citations du chercheur en psychothérapie Bruce Wampold (2011 et 2017) en incluant leur contexte personnel et culturel respectif. La question consiste à examiner comment et si les anciennes connaissances peuvent être reliées aux nouvelles, et est traitée en considérant les variables du facteur efficient « personnalité des thérapeutes ». La relation thérapeutique passe ainsi à l’avant-plan en se basant sur un modèle contextuel de la psychothérapie tel que le défend Wampold. Ce qui est passionnant, c’est que l’autrice ne part pas, comme on aurait pu s’y attendre, du point de vue thérapeutique mais procède qualitativement et sociologiquement en s’appuyant à cette occasion sur le contexte théorique scientifique de l’aliénation tel qu’il est utilisé à la Sigmund Freud PrivatUniversität Wien (université privée Sigmund Freud de Vienne), contexte sur lequel des travaux sont également parus dans ce magazine (resp. son précurseur), comme par exemple ceux de Kurt Greiner (2007). Une valeur pratique de ce travail consiste d’une part dans le fait que les enseignements qu’on en retire sont applicables à la formation de base et continue des thérapeutes, et d’autre part dans la comparaison scientifique des écoles, pour laquelle cette procédure méthodique serait également productive.
La seconde contribution, « Dépressions d’épuisement. À propos de la compréhension dynamique dans le temps d’évolutions de maladies » est de la plume du chercheur en sociologie Stefan Paulus. Alors que Futscher jette un pont vers la sociologie, Paulus, quant à lui, jette un pont depuis la sociologie vers la psychothérapie, en se référant dans son travail empirique à Günter Schiepek, dont l’approche a également été publiée dans ce magazine (2020, 2022). Pour commencer tout de suite avec sa valeur pratique, le travail de Paulus met en évidence l’importance de la situation sociale de nos patient-e-s. La psychothérapie devrait accorder à la prise en compte de la situation sociale des patients-e-s la même attention que celle que la vue introvertie accorde au monde intérieur. Nous vivons dans un réseau intérieur et extérieur. La valeur pratique de ce travail comprend également la représentation des modèles dynamiques de systèmes archétypiques resp. génériques, ainsi que leurs potentiels d’utilisation pour la psychothérapie. Sa terminologie peut être retenue dans le traitement afin de donner un nom qui fait sens aux problèmes sociaux. On sait que les problèmes doivent pouvoir être nommés pour qu’on puisse les traiter de façon productive.
Jos Dirkx et Jolien Zevalkink présentent une étude pilote réalisée aux Pays-Bas, dans laquelle ils exploraient avec plusieurs instruments de mesure empiriques les changements, survenant dans la qualité de représentations d’objet sous la forme d’interviews, menés au cours de thérapies psychanalytiques. Outre la focalisation sur les changements de structure, les auteurs s’intéressaient également à l’évolution du stress psychopathologique au cours de la même période. Ils montrent que de tels changements ont effectivement lieu, et recommandent d’utiliser aussi ces échelles dans la pratique thérapeutique au moyen d’interviews semi-structurés pour surveiller de tels changements. Cette contribution est publiée en anglais et en allemand.
Nous avons, pour la première fois, reçu une contribution en langue française, que nous publions dans la langue d’origine. Un récapitulatif plus long existe pour les lecteurs germanophones. Hubert de Condé, Jochem Willemsen et Emmanuelle Zech, chercheurs à l’université catholique de Louvain en Belgique, explorent la manière dont se présentent les cheminements personnels et professionnels de thérapeutes expérimentés. Ils ont examiné le sens que revêtait la formation en psychothérapie dans le développement de compétences professionnelles. Les auteurs et l’autrice ont mené des interviews semi-structurés avec sept thérapeutes expérimentés, provenant de différentes orientations thérapeutiques, choisis à partir d’un échantillon aléatoire soigneusement constitué au sein de deux associations professionnelles belges. Les résultats montrent que l’évolution personnelle et l’évolution professionnelle ne peuvent pas être séparées l’une de l’autre et que la personne du ou de la thérapeute se trouve au centre du processus d’intégration. Ce résultat entretient également une relation étroite avec les enseignements tirés de Jung et de Wampold.
Pendant que ces trois premières contributions doivent s’inscrire dans un mode de pensée contextuel, Jürgen Kriz jette, avec sa contribution « Psychothérapie humaniste en Allemagne. Rapport sur un blocage », un regard dans le sombre abîme de la politique de l’ignorance de la science lorsque les contextes sont masqués, comme cela s’est produit en Allemagne avec l’autorisation de la psychothérapie humaniste au préjudice de ceux et celles qui ont besoin de la psychothérapie. En adoptant un mode de pensée hiérarchique suranné, on a ici constitué un comité de représentants de différentes écoles psychothérapeutiques qui a pu décider des écoles qui seraient reconnues comme des psychothérapies scientifiques et de celles qui ne le seraient pas. C’est ainsi que, pour ainsi dire, on a fait entrer le loup dans la bergerie. Kriz, tout comme Wampold, se réfère à un mode de pensée contextuel pratiqué en psychothérapie, et montre que le modèle allemand présente une construction spéciale unique au monde et qui est dépassée.
On peut aujourd’hui considérer que les 30 dernières années de politique n’étaient pas une sinécure et ont eu des effets jusque sur le nom de notre magazine Psychotherapie-Wissenschaft – Science Psychothérapeutique. Les nombreuses tentatives de professeurs de psychologie allemands, visant à introduire le modèle allemand dans des universités suisses, n’ont pas abouti. C’est d’une part la charte suisse de la psychothérapie, qui a porté ce magazine sur les fonts baptismaux, et de l’autre la mentalité suisse de démocratie de base et les juristes agissant dans leur sens et leur esprit qui l’ont empêché. La contribution de Kriz est également un document d’époque important pour établir la psychothérapie dans les soins de base administratifs de la santé psychique. En tant que témoin scientifique dans le cadre de ces disputes, il a connaissance d’interrelations que les générations futures auront des difficultés à identifier.
En conclusion, Daniel Hell émet un vœu en faveur d’une réorientation au sein de la psychiatrie et de la psychothérapie. Il s’appuie sur 50 ans d’expérience professionnelle, souligne à quel point la psychiatrie et la psychothérapie dépendent de la culture dominante, et décrit la mutation culturelle et la mutation survenue en psychiatrie au cours du dernier demi-siècle. Cette seule évocation fait de cette contribution un document historique d’époque important. L’auteur critique la réification croissante des sentiments, la biologisation de la psychiatrie/de la psychothérapie et l’attention croissante accordée à l’estime de soi, sachant que la notion de soi a connu une mutation pour signifier généralement la relation à soi-même et non plus un moi relationnel sur lequel reposent les expériences relationnelles et le sens. Cette tendance pourrait être encore renforcée par la numérisation avec Big Data. Il est d’autant plus important qu’un débat sur l’avenir de la psychiatrie et de la psychothérapie s’appuie également sur la connaissance de son histoire.
Nous pensons avoir présenté à nos lecteurs un cahier passionnant, et vous souhaitons une lecture enrichissante.
Mario Schlegel & Peter Schulthess
Greiner, K. (2007). Psychoanalyse im 21. Jahrhundert: polymorphe Wissenschaft mit Vorbildqualität. Psychotherapie Forum, 15(2), 96–103. https://psychotherapie-wissenschaft.info/article/view/128
Schiepek, G. (2020). Depression – ein komplexes dynamisches System. Psychotherapie-Wissenschaft, 10(2). https://doi.org/10.30820/1664-9583-2020-2-49
Schiepek, G. (2022). Prozess- und Outcome-Evaluation mithilfe des Synergetischen Navigationssystems (SNS). Psychotherapie-Wissenschaft, 12(1). https://doi.org/10.30820/1664-9583-2022-1-51
Wampold, B. E. (2011). Qualities and actions of effective therapists: Research suggests that certain psychotherapist characteristics are key to successful treatment. NANOPDF. APA. https://nanopdf.com/download/qualities-and-actions-of-effective-therapists_pdf
Wampold, B. E., Imel, Z. E. & Flückiger, C. (2017). Die Psychotherapie-Debatte: Was Psychotherapie wirksam macht. Übers. v. M. Ackert, J. Held, C. Wolfer & J. Westenfelder. Hogrefe.