Application de principes de base professionnels et déontologiques à l’espace des réseaux sociaux
Jana A. Heimes
Psychotherapie-Wissenschaft 13 (1) 2023 17–18
www.psychotherapie-wissenschaft.info
https://doi.org/10.30820/1664-9583-2023-1-17
Mots clés : Réseaux sociaux, Instagram, attitude professionnelle, neutralité, abstinence, déontologie
Tout comme la théorie et la pratique psychothérapeutiques ne cessent de poursuivre leur développement en continu, l’environnement dans lequel la psychothérapie est appliquée change également. En ces temps de numérisation croissante de la vie publique et privée, de plus en plus d’interactions entre personnes ont lieu sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram et Twitter.
Le thème de la santé mentale a également frayé son chemin sur les réseaux sociaux et y est partagé par exemple sous le Hashtag #mentalhealth ou #endthestigma. Les contenus et offres sur des profils qui sont consacrés à ce thème ont des qualités professionnelles variées. On trouve sur les réseaux sociaux quelques profils d’expertes et d’experts qualifiés. Une grande partie des comptes qui traitent de la santé mentale semble toutefois être tenus par des personnes qui n’ont pratiquement pas ou très peu de formation professionnelle. On peut supposer que notamment les personnes vulnérables en situations de crise de contenus se sentent attirées par des contenus tournant autour de la santé mentale, et sont réceptifs à des promesses de guérison et de solutions supposées simples. Il existe, notamment vis-à-vis de ce groupe de personnes, y compris en ligne, une responsabilité professionnelle particulière. Une présentation irréfléchie et non-professionnelle de thérapeutes dans des réseaux sociaux présente en outre le risque de porter atteinte à la confiance dans la méthode de la psychothérapie en général, et à accroître les réticences des personnes concernées à se soumettre effectivement à un traitement professionnel effectif.
La communauté de psychothérapeutes ne doit pas capituler face à cette évolution. Il s’agit plutôt d’élargir les espaces d’éclaircissement et d’interpellation de la société autour de l’espace numérique. Les éclaircissements doivent être apportés là où le plus grand nombre de personnes et où le thème important de la santé psychique peut acquérir de la visibilité.
De plus en plus de thérapeutes osent franchir l’étape de la visibilité sur les réseaux sociaux et créent des comptes publics pour leur cabinet, par exemple sur Instagram. Afin d’assumer leur responsabilité vis-à-vis de leurs (futurs) patientes et patients et personnes concernées, il est important d’adopter également en ligne une attitude professionnelle, de préserver les principes importants de l’abstinence et de la neutralité thérapeutique, et de transposer les principes déontologiques de base du travail thérapeutique dans l’espace des réseaux sociaux. Je me confronte aux questions théoriques et pratiques qui en résultent depuis la création de mon compte de cabinet sur Instagram il y a désormais cinq ans.
Le modèle du code déontologique allemand pour les psychothérapeutes psychologiques et les thérapeutes de l’enfance et de l’adolescence (BPtK, 2007) ne contient jusqu’à présent aucune directive concrète pour la tenue d’un compte professionnel sur les réseaux sociaux. Le comportement professionnel défini dans le code déontologique doit toutefois, pour des raisons de responsabilité professionnelle, également servir d’étalon sur les réseaux sociaux. Le code de déontologie (ibid., p. 4) stipule que le comportement professionnel a pour but :
« De promouvoir la confiance entre les psychothérapeutes et leurs patients, d’assurer la protection des patients, de la qualité de l’activité psychothérapeutique dans l’intérêt de la santé de la population, de préserver et de promouvoir le libre exercice de la profession, de promouvoir un comportement professionnel et de prévenir tout comportement non professionnel. »
Les quatre principes de base de la déontologie médicale (s’inspirant de Beauchamp & Childress, 2008) donnent ici une orientation claire sur les exigences de comportement professionnel qu’une action thérapeutique doit satisfaire : éviter les dommages, respecter l’autonomie des patientes et des patients, multiplier les avantages et viser l’équité. La prise en compte de ces principes doit être aujourd’hui également étendue à la présentation professionnelle sur les réseaux sociaux. La même chose vaut pour les principes thérapeutiques fondamentaux d’abstinence et de neutralité, qui font l’objet d’une attention particulière dans la thérapie psychodynamique, tout en possédant toutefois dans leur implication une validité générale pour toutes les procédures psychothérapeutiques.
L’abstinence en psychothérapie signifie que l’ajustement thérapeutique doit servir uniquement à l’amélioration des patientes et des patients. D’autres souhaits et besoins du côté des thérapeutes ne doivent pas être satisfaits dans la relation thérapeutique (Mertens, 2014). La manière dont ce principe est appliqué dans la pratique est considéré de façon exhaustive dans le cadre de la formation thérapeutique de base et postgrade.
Sur les réseaux sociaux, cela signifie que les comptes dans lesquels des thérapeutes deviennent visibles dans leur rôle thérapeutique professionnel imposent une responsabilité particulière en termes de professionnalisme et de standard éthique. Ceci devient particulièrement pertinent si on réfléchit au fait que des patientes et patients propres ou futurs peuvent également suivre un compte. Chaque contenu qui est partagé publiquement sur des comptes, chaque interaction publiquement visible des thérapeutes peut trouver son chemin dans la relation thérapeutique. Le compte individuel public représente également toujours toute une profession qu’il s’agit de représenter dignement. Il n’existe jusqu’à présent, ni de la part de la chambre des psychothérapeutes ni de la part des associations, de recommandations claires quant à la manière d’assumer cette responsabilité. Il est d’autant plus important de toujours refléter sa propre activité sur les réseaux sociaux en toute conscience, qu’il s’agisse de soi et dans l’échange avec des collègues.
Les algorithmes des réseaux sociaux semblent préférer des contenus idéalisés, (supposés) privés et suscitant des émotions (Cotter, 2019). Une présentation suivant ce principe en tant que thérapeute n’est pas compatible avec le principe de la neutralité thérapeutique. Pour appliquer ce principe à la tenue d’un compte sur les réseaux sociaux, sa propre présentation doit toujours être réfléchie en toute conscience. Si des avis, opinions et valeurs des thérapeutes se voient accorder trop de présence, l’espace dans lequel une autre personne ayant une attitude différente peut se sentir accepté se réduit.
À la différence du contact direct avec des patientes et des patients dans son cabinet, la personne destinataire des messages n’est pas claire dans les réseaux sociaux. Là où, dans son cabinet, des dévoilements propres bien réfléchis et ciblés peuvent porter leurs fruits en tant qu’intervention de traitement dans l’ajustement individuel, vous touchez en ligne un public non filtré. Il faut toujours penser à la manière dont une contribution sur le profil professionnel est lue et interprétée par des patientes et patients effectifs ou potentiels et pourrait être rapportée à soi-même et à la thérapie ; c’est-à-dire le potentiel de transmission que la contribution offre aux différentes patientes et patients et le modèle de transmission que le dévoilement propre pourrait également inhiber.
Le succès sur les réseaux sociaux est défini par l’attention et la reconnaissance sous la forme de « Likes » et le nombre des « Followers ». Les thérapeutes possédant des comptes professionnels doivent se soustraire consciemment à ces « spirales narcissiques susceptibles de se renforcer d’elles-mêmes » (Neumann et al., 2022). Une mise en scène propre se focalisant sur sa propre personne représentée de façon idéalisée contredit les principes représentés de professionnalisme thérapeutique. La reconnaissance du professionnalisme et de l’utilité de ses propres contributions peut servir d’alternative en tant que source adéquate de satisfaction narcissique.
Toutes ces réflexions critiques ne doivent pas dissuader de devenir également visible publiquement en tant que psychothérapeute en ligne. Les réseaux sociaux sont un lieu constamment croissant d’interaction entre les gens et un lieu important d’évolution de la société. Au lieu d’avoir peur de l’inconnu, les psychothérapeutes peuvent prendre leur courage à deux mains et participer de façon proactive à cette évolution. Ce lieu peut sûrement profiter de la représentation professionnelle de notre profession. Le thème de la santé mentale s’est vu accorder de plus en plus d’attention au cours des dernières années, également renforcé par la pandémie de Corona. Cette opportunité de clarification et d’éducation peut et doit maintenant être utilisée intentionnellement par les expertes et les experts.
Il y a toutefois clairement une nécessité de corroborer de façon plus approfondie ces premières réflexions au plan théorique et surtout aussi empirique. Les thérapeutes ont jusqu’ici été laissés à eux-mêmes pour la configuration de leurs comptes et de leurs interactions en ligne. Des directives claires, qui sont également ancrées dans le code déontologique, sont nécessaires. Il est pour cela nécessaire de pénétrer de manière réfléchie dans cet espace jusqu’ici pratiquement non réglementé et de tenir un discours professionnel à ce sujet.
L’auteur
Jana A. Heimes est psychothérapeute psychologique recourant le procédé de la psychothérapie fondée sur la psychologie des profondeurs dans des configurations individuelles et de groupe. Elle travaille à Berlin dans son propre cabinet et tient pour ce dernier depuis 2018 un compte public sur Instagram (@psycho_dynamik). Elle s’est beaucoup préoccupée des possibilités et des limites d’une présentation professionnelle sur les réseaux sociaux dans le cadre d’un échange avec des collègues et est co-auteure du livre Social-Media-Profile in Psychotherapie, Beratung und Coaching (2022).
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