Psychotherapie-Wissenschaft 12 (2) 2022 7–8
Catastrophe climatique, pandémie, guerre, terreur, violence : des phénomènes d’actualité auxquels nous sommes tous confrontés. Comment épauler la société en ces temps incertains, sur quel plan la psychothérapie peut-elle intervenir ? Comment gérons-nous, psychothérapeutes, les effets psychiques et la peur que notre existence ne soit ébranlée jusque dans ses fondements les plus intimes ? La peur du Covid et les mesures prises à son encontre influencent également notre vie professionnelle. Il en va de même pour les impacts du changement climatique, lequel prend une tournure dramatique. Nous sommes membres à part entière de cette société. Tout comme nos patientes et patients, hommes et femmes politiques. Nous éprouvons des peurs similaires et produisons des symptômes pour répondre aux menaces de toutes natures. Quelles sont les retombées sur notre travail thérapeutique ?
Nous avons choisi le titre de cette édition en nous inspirant du congrès de l’European Association for Psychotherapy (EAP) qui s’est tenu le 12 et 13 mars 2022. Une des discussions de cette réunion est parue dans à jour! Psychotherapie Berufsentwicklung en juin.1 De quelle manière la psychothérapie peut-elle contribuer à surmonter les différentes crises qui sévissent ? Voici la question à laquelle cette édition se consacrera. À la recherche d’articles en mesure d’apporter des réponses fructueuses, nous sommes tombés sur des auteur(e)s qui avaient de véritables arguments à apporter au débat. Le résultat ? Une édition riche et fournie.
Irvin Yalom, porte-parole de premier ordre de la psychothérapie existentielle et humaniste à la santé fragile, a désormais atteint ses 91 ans. C’est avec lui qu’Eugenijus Laurinaitis, psychothérapeute lithuanien et secrétaire général actuel de l’EAP, a eu un entretien très personnel à l’occasion de la réunion d’anniversaire de l’association. Cet entretien a mis le cœur de Yalom à nu et montre comment celui-ci a surmonté les nombreuses crises qui se sont présentées au cours de sa vie et ce qui lui a donné la force d’y parvenir : des relations fiables qui permettent d’entrer dans le fond des choses. C’est également ce qu’il identifie comme élément primaire à instaurer en psychothérapie pour venir en aide aux personnes traumatisées. Comme dans certains de ses écrits, la mort a également fait l’objet de cet entretien. Nous remercions l’EAP d’avoir autorisé la publication de cet entretien en français.
Birte Brugmann et Inge Missmahl agissent en tant que psychothérapeutes jungiennes dans les pays subissant les stigmates de la guerre par le biais d’une des nombreuses organisations créées par leurs soins. Elles avaient décrit dans un précédent article accordé à notre revue l’approche du Value Based Counseling,2 qu’elles ont développée en s’appuyant sur la pratique en Afghanistan. Le présent article explique comment l’approche d’un instrument facilement modulable s’est développée pour intervenir dans une situation pauvre en ressources et pourquoi mener un entretien structuré permet à la branche de passer à l’ère du numérique, qui rend aux patientes et patients une certaine indépendance vis-à-vis du personnel conseiller.
Isabel Fernandez, présidente des sociétés italienne et européenne pour l’EMDR (Eye Mouvement Desensibilisation and Reprocessing), décrit dans son article comment cette pratique thérapeutique aide à surmonter les traumatismes au sein de différentes cultures. Elle démontre que l’essor en matière de connaissances, d’études, de directives et d’outils des dernières années a été capital pour les interventions psychologiques dans des situations traumatiques, tant sur le plan individuel que collectif. Elle souligne également à quel point il est important d’intervenir aux différents stades du traumatisme pour empêcher des troubles psychiques, neutraliser les facteurs de risques et avant tout favoriser la capacité d’adaptation et la croissance post-traumatique. L’EMDR apporte une contribution significative à ce travail dans des situations instables et avec des groupes de population qui diffèrent en termes de culture, de religion et de langue, et permet à ces derniers de dépasser l’expérience traumatique, d’atténuer les symptômes, de stabiliser et développer des facteurs de protection personnels et communautaires qui promeuvent la résilience des adultes et des enfants.
Anja Schnurr et Christine Bauriedl-Schmidt thématisent d’un point de vue psychodynamique la gestion des peurs concernant la crise climatique. Celle-ci exige de l’humanité de repenser et de transformer de façon radicale ses propres pratiques de vie au vu des contextes de la protection et de la « justice » climatiques. Cela réveille différents sentiments tels que la peur, la tristesse, la honte, la culpabilité, la convoitise et la colère, ce qui peut conduire à des conflits internes avec ses propres besoins et désirs. On constate que l’individu en tant que tel, mais également la société, tente de refouler ces sentiments et conflits. Les auteures décrivent un cadre éthique pouvant contribuer à trouver un compromis entre l’aspect moral et les agissements correspondants et respectueux du climat.
Lucia Formenti aborde l’aide thérapeutique aux réfugiés et à celles et ceux qui les accompagnent. Elle présente l’EMDR en tant qu’instrument thérapeutique adapté et se réfère de façon explicite à la guerre en Ukraine. Après une brève introduction théorique aux stades du traumatisme et au processus de deuil, elle montre le chemin le plus efficace de l’intervention de premiers secours proposée avec la thérapie EMDR. Dans ce type d’intervention de premiers secours, les intervenants sont soumis à un stress permanent et risquent donc de développer un traumatisme par personne interposée. Il est par conséquent indispensable d’envisager une intervention de soutien ciblée pour augmenter leur propre résilience. La recherche et les directives internationales prouvent que la thérapie EMDR peut être d’une aide capitale aux réfugiés.
Ulrich Sollmann pilote un essai sur le sujet « La psychothérapie en des temps de disruption ». Par disruption, on entend des troubles sérieux tels que la guerre, la terreur, les pandémies ou encore les catastrophes climatiques. L’auteur considère que notre époque est confrontée à des crises de plus en plus complexes qui se transforment en perturbations graves à l’échelle mondiale. Nous retrouvons les impacts de ces transformations dans nos cabinets thérapeutiques. La psychothérapie est elle-même touchée en tant que profession par des disruptions légales qui ont suscité des désillusions. Il s’agit donc d’un essai dans lequel l’auteur appelle à davantage prendre en compte les évolutions sociales dans la psychothérapie et contribue à réinterpréter la psychothérapie et les valeurs humanistes qui la sous-tendent.
Jeanette Fischer présente, dans un autre article essayiste, son point de vue psychanalytique selon lequel la guerre aurait déjà pris place au sein de notre société. Elle met à jour la manière dont les dépendances au sein de notre société débouchent généralement sur des discours de domination avec un déséquilibre des forces, donnant ainsi une base à l’égoïsme et à l’exploitation. Se donner de l’importance n’est possible qu’en dévaluant l’autre, argument apte à légitimer l’exclusion, voire le meurtre d’autrui. Pour éviter ce cas de figure, il conviendrait d’éduquer et de mettre en place un ordre social qui repose sur le principe de l’intersubjectivité au lieu d’un déséquilibre des forces. Ce principe permet de proclamer la différence et ainsi de laisser de côté le sentiment de supériorité et le déséquilibre des forces tout en contribuant à promouvoir la paix.
Paolo Migone a rassemblé quelques extraits de la revue italienne Psicoterapia e Scienze Umane afin d’illustrer le sujet actuel de cette édition.
Dans une contribution originale, Paolo Raile présente son approche d’une science des possibilités psychothérapeutiques augmentant les possibilités d’action (Handlungsmöglichkeiten-erweiternden Psychotherapiewissenschaft ; HEP) en approfondissant ainsi un sujet qui a été évoqué de façon récurrente dans notre revue. En se fondant sur un constructivisme radical, il formule une praxéologie qui permet aux psychothérapeutes non pas de suivre un concept de traitement rigide, mais de s’adapter aux données particulières de chaque situation thérapeutique et de pouvoir agir avec la souplesse qui s’impose. Cela exige des thérapeutes non seulement de faire preuve de flexibilité, mais aussi d’intuition et d’un répertoire suffisamment large de possibilités d’action. Ceci doit être enseigné dans le cadre d’une application de recherche pratique de l’HEP. Nous apportons dans ce numéro, avec la 1ère partie de sa contribution, les fondements théoriques. La partie 2 contient la mise en œuvre pratique des recherches et paraitra dans la prochaine édition.
Le présent numéro se termine sur un compte rendu de colloque et trois critiques de livres. Nous vous souhaitons une lecture inspirante.
Peter Schulthess & Mara Foppoli
1 Schulthess, P. (2022). Rapport de la réunion tenue à l’occasion des 30 ans d’existence de l’EAP. à jour! Psychotherapie Berufsentwicklung, numéro 15, 13–16.
2 Missmahl, I. & Brugmann, B. (2019). Value-based Counseling. Culture et religion en tant qu’élément créateur de sens d’une intervention psychodynamique de courte durée. Psychotherapie-Wissenschaft, 9(1), 39–49.