Sentiments climatiques, défense et espérance en la psychothérapie

Une perspective psychodynamique

Anja Schnurr & Christine Bauriedl-Schmidt

Psychotherapie-Wissenschaft 12 (2) 2022 52–53

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CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2022-2-52

Mots clés : crise climatique, psychothérapie psychodynamique, sentiments climatiques, défense, pathologies des faits sociaux

Le terme de crise climatique a été choisi en toute conscience par opposition à celui de changement climatique afin de davantage faire ressortir le caractère dramatique de la situation et l’urgence impérative d’agir. Nous comprenons cet article comme une incitation à considérer la thématique de la crise climatique et le rôle endossé par tout un chacun dans ce contexte depuis une perspective psychodynamique.

La recherche se consacre aux sentiments climatiques les plus divers, dont la peur, la tristesse, la surprise, la culpabilité, la honte, la colère et la convoitise (Panu Pihkala, 2022). Ce qui pose problème dans la recherche de sentiments climatiques, c’est que ceux-ci restent fréquemment inconscients. Par conséquent, la perspective psychodynamique est importante en ce qu’elle est liée à l’objet de l’inconscient. Pendant que Donna M. Orange (2017) met la honte et la convoitise au centre de ses recherches, Sally Weintrobe (2013) voit dans la peur l’émotion centrale qui complique le rapport à la crise climatique. En termes psychanalytiques, elle considère la peur comme une conséquence de différentes parties fondamentalement en désaccord en nous-mêmes. Renée Lertzman (2013, 2015) décrit la perte, la tristesse et le traumatisme comme étant importants en liaison avec la crise climatique. En se fondant sur sa propre étude, elle identifie des conflits intérieurs et des sentiments (sur)puissants paralysants, qui seraient souvent interprétés de façon erronée comme de l’apathie. Randall (2013) illustre à l’aide d’une figure romanesque comment la prise de conscience et la confrontation avec la culpabilité écologique peut permettre de surmonter des exigences et des fantasmes de toute-puissance. Les sentiments climatiques mobilisent les réactions de rempart au niveau individuel et sociétal en sapant de cette manière la capacité humaine à se consacrer au sujet (Hoggett, 2019).

Dans le contexte de la crise climatique, l’aspect du déni a revêtu une grande importance dans la littérature. De nombreux autres mécanismes de défense tels que la scission, l’isolation des affects et la sublimation jouent par ailleurs un rôle prépondérant. Dans le cas de la scission, un « mal » supposé est séparé du « bien » en empêchant ainsi que des contenus émotionnellement irréconciliables se rencontrent. Cette méthode permet de maintenir la propre bonne conscience, une autre personne ou un autre groupe important en faisant malheureusement fî d’une perspective collective et cohérente sur soi-même et le monde. Tous les mécanismes de défense servent l’égo, en le protégeant contre des sentiments menaçants difficilement soutenables ou des contenus conflictuels. Mais ces agissements ne libèrent pas de la tension psychique intérieure. Au contraire, cette dernière est tout bonnement catapultée dans l’inconscient, ce qui nous pousse à perdre la possibilité d’utiliser la fonction signalétique de nos sentiments.

Honneth (2004) a décrit la notion de la pathologie des faits sociaux et les restrictions systématiques qui y sont liées, à savoir pouvoir mener une vie heureuse selon les critères de liberté, égalité, justice, sur la seule base de l’appartenance à un groupe (p. ex. race, sexe). Pour maintenir des rapports de domination traditionnels, ces rapports sociaux doivent être soustraits de façon inconsciente, et donc au domaine de la réflexion. Les psychanalystes contemporains développent des concepts qui décrivent la crise climatique comme une pathologie du fait social. Sally Weintrobe (2013, 2021) se concentre sur une « Culture of Uncare », caractérisée par une raison instrumentale avec des valeurs capitalistes, un style de vie consumériste, un triomphe omnipotent sur la réalité, et dessine une alternative prévoyante. Donna M. Orange (2017) part de la notion d’(in)justice climatique et met un inconscient sociétal historique en liaison avec des traces d’injustice sociale historiquement prouvables. Elle considère la prise de conscience de la responsabilité et de la honte qui l’accompagne de la part du monde occidental comme nécessaire pour surmonter la crise climatique.

Face à la complexité de la crise climatique, un individu peut se sentir incapable d’agir, mais un groupe soudé peut canaliser les sentiments climatiques passés dans la conscience collective, les transformer et devenir ainsi prépondérant, même face aux acteurs politiques. Une communication climatique couronnée de succès présuppose de bien connaître le groupe cible, de mobiliser une connexion émotionnelle au sujet et de transmettre de l’espoir. La confiance découle d’exigences claires quant aux aspects que l’individu ou la communauté se doit de changer (Randall, 2019). Ce n’est pas nouveau : l’idée du renoncement aux habitudes suscite un manque d’enthousiasme. Il existe cependant aussi des biens précieux à (re)conquérir. Au-delà d’une terre mère saine, nourricière, sécurisante et stable, il faut aussi penser à l’expérience de la communion, de la cohérence, de la croyance en ses propres capacités et du sens. S’y reflètent aussi les besoins psychiques de l’être humain comme base de sa santé (cf. Grawe, 2000 ; Rudolf, 2014). Rosa (2019, p. 761) met d’ailleurs à disposition une notion à la résonnance positive qui encourage le sujet en proie au « mode de désespoir pour gérer son quotidien » de s’ouvrir avec curiosité à des relations réussies avec le monde et marquées par la libido.

La psychothérapie joue un rôle central dans le soutien actif. Il est dans ce cadre important de faire la distinction entre les peurs non-pathologiques, à savoir fondées dans la réalité, des peurs névrotiques. Si les sentiments climatiques génèrent une souffrance si élevée qu’ils conduisent à des difficultés au quotidien, ils peuvent induire une psychothérapie. Il existe par ailleurs des offres de consultation et de groupe pour affronter les sentiments climatiques et renforcer sa résilience. Donna M. Orange (2017) considère que le groupe professionnel des psychothérapeutes a une responsabilité en raison de son expertise dans l’accompagnement des processus de changement, la gestion des émotions et la gestion des mécanismes de défense. Dans le travail psychothérapeutique, nous constatons régulièrement à quel point il peut être bénéfique de prendre conscience de ses sentiments désagréables et douloureux, de trouver des mots pour les décrire et de les partager avec autrui. La capacité à garder ces sentiments dans l’espace intérieur intrapsychique et à les réguler, à sonder leur origine et à les digérer peut augmenter le sentiment de croire en ses propres capacités et conduire à davantage de maturité et de liberté dans l’organisation de sa propre vie. Tous ces aspects pourraient constituer une base précieuse pour affronter la crise climatique et les dysfonctionnements croissants de la société.

Les auteures

Les auteures sont membres de « Psychoanalyse AG des Psychologists for Future ». Les deux auteures ont les mêmes droits, elles se partagent la qualité de premières auteures.

Le Dr. biol. hum. Dipl.-Psych. Christine Bauriedl-Schmidt est installée en tant que psychologue psychothérapeute et psychanalyse (DGPT) à Munich, membre du directoire et professeure de la Münchner Arbeitsgemeinschaft für Psychoanalyse (MAP), porte-parole du Netzwerk Freie Institute (NFIP) et co-publicatrice du volume Das Unbewusste in der Klimakrise ainsi que de la série de livres MAP Psychoanalyse im klinischen, kulturwissenschaftlichen und interdisziplinären Diskurs (Brandes & Apsel, à partir de 2023).

M.Sc. Anja Schnurr est psychologue psychothérapeute (approbation en psychothérapie fondée dans la psychologique profonde) et professeure à l’Akademie für integrative Psychotherapie (HAiP)du Land de Hesse. Elle travaille dans un centre de soins psychothérapeutique à Francfort-sur-le-Main et propose des thérapies ambulatoires individuelles et de groupe.

Contact

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