Une courte intervention psychosociale modulable pour les situations pauvres en ressources
Birte Brugmann & Inge Missmahl
Psychotherapie-Wissenschaft 12 (2) 2022 29–30
www.psychotherapie-wissenschaft.info
https://doi.org/10.30820/1664-9583-2022-2-29
Mots clés : adaptation culturelle, conseil psychosocial, zones de crise, intervention à court terme, modularité
La promotion de la santé mentale constitue un des 17 objectifs des Nations Unies pour le développement durable (Sustainable Development Goals, ODD) dans le cadre de la promotion de la santé au niveau mondial. Dans les pays à faible revenu, la population dispose de bien moins de personnel qualifié que dans les pays à revenu élevé. Si les soins de santé mentale de base pour les personnes vivant dans des pays à faible revenu et dans des zones de crise constituent un défi majeur pour les organisations gouvernementales et non gouvernementales, les pays à revenu élevé qui accueillent des réfugiés doivent adapter leurs services de santé aux besoins spécifiques de ces personnes. Là où les structures étatiques ne peuvent pas assurer les soins de santé mentale de base, que ce soit sur une période prolongée ou dans des situations d’urgence, apparaissent souvent des structures parallèles non-étatiques. Cet état de cause est en outre promu par le fait que la santé mentale et le soutien psychosocial (Mental Health and Psychosocial Support, MHPSS) dans l’aide humanitaire, l’aide transitoire et l’aide au développement sont devenus une question transversale.
Dans le débat mené sur les stratégies à adopter pour améliorer au niveau mondial les services MHPSS, deux pôles se sont constitués. Le premier consiste en une approche pathogénique qui s’efforce de classifier les atteintes au bien-être psychique comme des troubles psychiques et de les réduire au moyen d’interventions éprouvées d’après des critères occidentaux, qui doivent éventuellement être adaptées en fonction du contexte culturel. À l’autre extrémité du spectre, on exige le développement culturel de conceptualisations autodéterminées de la santé psychique et des interventions. La WHO recommande de moduler des versions courtes et simplifiées d’interventions éprouvées comme p. ex. la thérapie du comportement cognitive, ainsi que les guides (self-help materials) qui reposent sur des principes de traitement éprouvés, et les instructions de groupes et de personnes individuelles dans l’utilisation de ces matériaux (guided self-help). Les innovations instaurées dans ce domaine doivent être compatibles avec le système de valeurs socioculturelles des prestataires ou des utilisatrices et utilisateurs sur place, suffisamment souples pour pouvoir être adaptées aux diverses conditions réelles, réversibles en cas d’échec, avantageuses par rapport aux conditions existantes, simples et non complexes, économiques et peu risquées dans la mise en œuvre.
Réaliser la compatibilité d’une adaptation avec le système de valeurs socioculturelles des prestataires ou des utilisatrices et utilisateurs sur place devient une tâche exigeante s’il existe différentes conceptualisations de la santé mentale. La WHO défend des valeurs dont elle revendique le caractère universel, tout en concédant qu’il existe des différences culturelles géographiques évidentes qui imposent une procédure prenant en compte la culture et le contexte pour promouvoir la santé mentale. Pendant qu’une partie de la recherche tente de savoir comment les interventions pourraient améliorer les adaptations culturelles, l’autre partie considère cette approche comme critiquable. La psychologie culturelle considère que la recherche d’une psychologie universelle fait de la culture un « élément perturbateur », alors que la psychologie indigène et comparatrice des cultures remet en question la prétention universelle d’une psychologie influencée par la science des nations industrielles occidentales dont les hypothèses de base proviennent d’une culture spécifique et déterminent la pratique des soins de santé publics dans d’autres contextes culturels. Certains scientifiques remettent également en question le rapport de dominance qui attribue aux spécialistes et non aux personnes concernées la souveraineté d’interprétation sur leur bien-être mental. Ce cercle de scientifiques souhaite que les interventions soient développées de manière participatives et que leur succès soit mesuré en fonction de la résonnance obtenue auprès des groupes cibles.
Le travail des organisations humanitaires évolue dans ce champ de tensions et a trouvé différentes réponses. L’intervention psychosociale de courte durée Value Based Counseling (VBC), utilisée par Ipso gGmbH, est née en 2004 à l’origine de la pratique en Afghanistan. La VBC se distingue par le fait qu’il ne s’agit pas de l’adaptation culturelle d’une méthode standard occidentale, mais que son approche théorique est déjà marquée par des expériences faites dans les zones de crise. À partir d’une pluralité d’approches théoriques, la VBC recourt à une approche psychosociale, salutogénique et psychodynamique basée sur des valeurs et axée sur les patientes et les patients. Une communication avec les patientes et patients d’égal à égal et le renoncement à un diagnostic empêchent tout déséquilibre des forces qui ferait obstacle à une relation de confiance servant de base à une intervention de courte durée couronnée de succès. L’efficacité de l’approche de conseil psychosocial a été prouvée dans le cadre de deux études. Celles-ci ont démontré une baisse significative des symptômes psychiques, y compris du TSPT (trouble de stress post-traumatique), de la dépression, des troubles anxieux, du stress ressenti et des troubles somatiques ainsi qu’une meilleure résilience et l’adoption pour soi de certaines perspectives extérieures.
L’approche de conseil possède toute une série de caractéristiques qui en font une adaptation modulable. L’approche théorique mise moins sur l’adaptation culturelle que sur une communication aussi interculturelle que possible. L’approche salutogénique et le renoncement consécutif à un diagnostic épargne la nécessité d’adapter les diagnostics ou d’introduite un concept sur place. La brièveté de l’intervention convient aux situations pauvres en ressources, l’entretien mené de façon structurée convient à une mise en œuvre dans une application numérique qui rend aux patientes et patients une certaine indépendance vis-à-vis des conseillers (guided self-help).
Ipso est parvenue à moduler la VBC dans deux contextes de taille. L’approche de conseil a été intégrée de 2008 à 2016 en tant que service psychosocial dans le système de santé public d’Afghanistan. Des conseillères et conseillers accompagnent en outre des réfugiés pris en charge en Allemagne dans plus de 20 langues. Cela comprend depuis la mi-2022 les services de conseillères et conseillers ukrainiens.
Les auteures
Birte Brugmann est titulaire d’un doctorat en archéologie, conseillère en paix et conflit ainsi que conseillère VBC et travaille pour Ipso (International Psychosocial Organisation gGmbH) en tant que conseillère à la direction.
Inge Missmahl est psychanalyste jungienne ainsi que fondatrice et directrice générale de l’International Psychosocial Organisation (Ipso) gGmbH.
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