Éditorial

Psychotherapie-Wissenschaft 12 (1) 2022 7–8

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CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2022-1-7

C’est pour une raison d’actualité que ce cahier aborde ce sujet. L’évaluation de routine de déroulements de psychothérapies dans la pratique quotidienne est un sujet qui prend une importance politique croissante. Comme l’Office fédéral de la santé publique a, dans la nouvelle ordonnance sur l’accréditation des filières de formation postgrade des professions de la psychologie, défini comme critère de réaccréditation de filières de formation postgrade que ces dernières doivent présenter un concept de qualité pour l’évaluation des thérapies que les étudiants appliquent dans le cadre de leur formation postgrade, ce passage du modèle de délégation au modèle de la prescription pour décompter la psychothérapie à la charge des caisses maladie a également suscité la discussion quant à l’aspect que doit prendre un concept de qualité de différentes pratiques. La qualité de la structure et du processus, ainsi que ce qu’on appelle la qualité du résultat devront être évaluées à cette occasion. S’il subsiste encore des incertitudes quant aux exigences concrètes dont les partenaires et OFSP finiront par convenir, il n’en reste pas moins que les psychothérapeutes seraient bien inspirés de réfléchir aux possibilités d’évaluer les déroulements de thérapies. Quels instruments se prêtent au mieux à cette opération ? Quelle approche scientifique doit servir de cadre à cette évaluation ?

L’évaluation psychothérapeutique a jusqu’ici surtout été pratiquée dans le cadre de la recherche de l’efficacité, pas dans la pratique quotidienne, à part dans des cliniques et quelques services ambulatoires. La recherche est elle aussi traversée de vifs débats relatifs à la question de la méthode et des configurations de recherche à adopter. La recherche actuelle en psychothérapie a montré que ce n’est pas la méthode qui décide du succès. Les résultats finaux sont similaires pour toutes les écoles. Il apparaît en revanche qu’il y a dans toutes les orientations thérapeutiques des thérapeutes qui obtiennent des résultats meilleurs, plus moyens ou plus mauvais. C’est la raison pour laquelle la question des aptitudes des thérapeutes et les liens qui se nouent entre les personnalités des thérapeutes et celles des patientes et des patients occupe de plus en plus le devant de la scène dans la recherche en reléguant celle de la méthode au second plan. Il n’est dans cette mesure pas absurde d’attendre de thérapeutes qu’ils disposent d’un modèle d’assurance qualité resp. de développement de qualité dans lequel la qualité du résultat est également prise en compte sous la forme d’une surveillance de routine des déroulements de thérapies, de façon à pouvoir également apprendre d’erreurs commises.

Ce cahier comprend cinq contributions au sujet du titre, qui exposent les différentes possibilités qui s’offrent à nous.

La contribution de Peter Schulthess introduit le sujet et publie dans une seconde partie le récapitulatif d’un groupe de travail ad hoc qui a élaboré des recommandations destinées aux fournisseurs de formations postgrade et un aperçu d’instruments validés. Le groupe de travail recommande l’utilisation de différents moyens : documentation systématique du processus, supervision ou cercle de qualité, et utilisation d’au moins un instrument et d’une forme d’exploration commune avec évaluation du processus, qui enregistre également le point de vue des patientes et patients : interview ou questionnaire relatif aux symptômes ressentis.

Alice Holzhey critique dans sa contribution un rétrécissement de la compréhension scientifique de la psychologie universitaire, qui s’oriente bien trop à son avis d’après un modèle de science naturelle et empirique. Elle plaide en faveur d’une adaptation des moyens par lesquels les déroulements sont documentés et évalués à chaque orientation thérapeutique, et donne la parole à la tradition scientifique des sciences humaines et philosophiques de l’herméneutique. Se contenter de documenter les changements survenus dans le cadre de psychothérapies sur le seul plan de l’évolution des symptômes est à ses yeux trop étriqué, du fait qu’il est dans ce cas trop peu tenu compte du processus psychique intérieur. Elle voit dans l’échelle de restructuration d’Heidelberg une approche valable pour pouvoir aussi détecter des changements qui surviennent dans les structures psychiques.

Elisa Tommasin présente dans sa contribution une présentation de cas telle qu’elle pourrait être élaborée à partir de la documentation systématique d’un déroulement de thérapie. Elle commence par faire une description du modèle de thérapie. Puis elle décrit ce qui a été à l’origine de la thérapie, suivie d’explication relative au déroulement (en faisant référence au modèle théorique). Elle conclut sa présentation de cas par l’auto-évaluation par la patiente du déroulement et du résultat de la thérapie. Voilà un bel exemple d’approche de recherche qualitative pour évaluer les déroulements de thérapies.

Günter Schiepek présente, avec le système de navigation synergétique (SNS), un modèle sophistiqué de surveillance qui combine des approches empiriques qualitatives et assistées par ordinateur. La surveillance assistée par ordinateur au moyen d’une application qui est mise à la disposition des patientes et patients permet aux thérapeutes de reconnaître rapidement les éventuelles évolutions favorables et d’évoquer le sujet dans la prochaine heure de thérapie. Les objectifs de la thérapie et les critères à observer sont fixés en commun au début de la thérapie.

Paolo Migone présente des extraits d’articles intéressants relatifs au sujet de l’« évaluation de thérapie » collectés dans le magazine Psicoterapia e Scienze Umane.

Quatre autres articles suivent dans la rubrique « Contributions originales ».

Nane Ohanian donne dans sa contribution un aperçu des diverses manières dont des patientes et patients, avec et sans contexte migratoire, affrontent leurs maladies psychiques dans une clinique universitaire allemande spécialisée dans la psychiatrie, la psychothérapie et la psychosomatique. Il apparaît que des patientes et des patients provenant d’un contexte migratoire communiquent plutôt avec un sentiment de honte sur leurs maladies psychiques, souvent pour des raisons culturelles. L’auteur fait apparaître de façon impressionnante à quel point une approche psychopathologique à la fois interculturelle et transculturelle est essentielle pour garantir des soins psychosociaux satisfaisant dans le traitement de migrantes et de migrants.

Magdalena Schwabegger et Christiane Eichenberger présentent une étude provenant d’Autriche relative aux violations et aux transgressions des limites sexuelles dans le cadre de psychothérapies. Environ 10% des psychothérapeutes commettent des violations et des transgressions des limites sexuelles, ce qui inflige de grandes souffrances aux patientes et patients concernés, qui pèsent énormément sur les thérapies suivantes et peuvent les compliquer. L’objectif de l’étude consistait à montrer les conséquences pour les patientes et patients et l’approche thérapeutique que doivent adopter les thérapeutes qui prennent la suite. Les auteures concluent avec la recommandation d’ancrer ce sujet dans la formation de base, la formation continue et la formation postgrade en psychothérapie, du fait qu’il est apparu que beaucoup de thérapeutes qui prennent la suite ont choisi une approche qui ne correspond pas aux règles recommandées.

Lucia Beltramini écrit sur le sujet de la violence entre jeunes et sur les observations que l’on peut faire à propos de la violence des rencontres adolescentes dans les temps de la pandémie. Les données collectées avant la pandémie montrent qu’environ 10% des relations de couples vivent des formes de violence psychique, physique ou sexuelle. Pendant les phases de confinement, ceci s’est renforcé du fait de l’état d’urgence sanitaire. La fermeture d’écoles et de services pendant la pandémie a rendu l’obtention d’aide plus difficile. L’auteure décrit l’attitude que l’on peut adopter pour aller à la rencontre d’adolescents concernés.

La contribution de Mara Foppolis traite également d’un sujet concernant les adolescents pendant la pandémie. Celle-ci parle, en s’appuyant sur différentes études, des stresses psychiques. La pandémie aurait eu un effet de renforcement des inégalités sociales et des risques de développement qui y sont liés. Elle déplore le manque d’offres d’aide psychiatrique et psychothérapeutique pour les adolescents et exige un accès facilité à l’aide psychosociale et une reconnaissance précoce. Elle propose des canaux tels que le téléphone, le chat, la messagerie électronique, les réseaux sociaux, les plateformes et les applications.

Ce cahier est conclu par une discussion lancée par Peter Schulthess sur le livre de Christian Fuchs intitulé : Der Körper, das Trauma und der Affekt. Theorie und Praxis der Polyvagaltheorie in der Psychotherapie1 (2021).

Ce cahier présente, outre le sujet du cahier, un certain nombre de particularités : c’est la première fois que nous publions d’un seul coup trois contributions en italien avec leur traduction en allemand. Le sujet des thérapies avec les enfants et les adolescents n’est normalement pas aussi fortement représenté, mais nous est apparu extrêmement pertinent, du fait que le stress psychique de la jeune génération a fortement progressé depuis le début de la pandémie et que les conséquences de ce développement poussent le système de soins psychosociaux à ses limites. Un fil relie en outre les différentes contributions à la violence sexuelle et les traumatismes.

Nous vous souhaitons une lecture stimulante.

Peter Schulthess & Lea-Sophie Richter

1 Le corps, le traumatisme et l’affect. Théorie et pratique de la théorie polyvagale en psychothérapie.