Je t’aimerai éternellement même si je ne t’ai jamais aimé

Elisa Tommasin

Psychotherapie-Wissenschaft 12 (1) 2022 49–50

www.psychotherapie-wissenschaft.info

CC BY-NC-ND

https://doi.org/10.30820/1664-9583-2022-1-49

Mots clés : psychologie générative, couple parental interne, interprétation des rêves, psychothérapie pour adolescents, abus sexuels et psychothérapie dynamique

La théorie du couple parental interne (CPI) est un des fondements du modèle psycho-génératif (Marcoli, 1997, 2005 ; Marcoli & Branca, 2014) qui propose les coordonnées interprétatives pour la psychothérapie avec Kora, présentée ici. L’objectif fondamental est de réparer le CPI de la fille, en lui offrant la possibilité de le déconstruire et de le reconstruire en continu : cela se réalise grâce à l’identification avec le thérapeute, en tant que représentant du CPI.

Le CPI est une fonction de l’esprit qui s’occupe de l’esprit lui-même ; c’est cette partie intériorisée de la personne qui prend soin de la personne elle-même, protégeant, limitant et orientant le désir dans un sens maturatif. Le psychothérapeute doit s’attacher à représenter un CPI bienveillant et accueillant, mais également limitatif et normatif : un couple parental qui exclut l’enfant de son lien érotique non pas avec une connotation sadique et punitive, mais pour lui permettre de générer et d’éprouver lui-même du plaisir, en poursuivant et concrétisant ses désirs dans le réel. Un CPI suffisamment sain offre la capacité d’accepter et d’élaborer une limite et également de construire un bon rapport à la réalité et à l’objectivité. Cette relation est fondamentale, car, pour être réelle, la satisfaction du désir doit se situer dans le réel, dans le monde où l’on agit avec puissance, et non dans le monde du rêve, caractérisé par une toute-puissance illusoire. Ce travail peut se faire en mettant l’accent mis sur le transfert : ceci est fondamental car parler et élaborer la relation avec le thérapeute CPI permet de restaurer les relations internes entre vos propres parties. Le thérapeute (la relation) est l’outil permettant de modifier et de restaurer la dynamique intrapsychique du patient et ses relations en tant qu’objet.

Cette méthodologie peut être mise en œuvre dans une perspective constructiviste : le sens de tout événement psychique, et principalement du rêve, n’est jamais révélé et découvert une fois pour toutes, mais toujours construit et reconstruit. Les récits du patient, qu’il s’agisse de rêve et de réalité, doivent toujours être lus à la lumière du transfert, car le thérapeute représente une partie du patient lui-même. Et le rêve est l’un des outils utilisés par le thérapeute psychogénératif pour aider le patient à avoir la capacité de détruire et de réparer continuellement son CPI. Cet objectif est poursuivi à partir de postulats clairs et motivés, qui agissent comme des coordonnées qui régissent les multiples (mais pas infinies) constructions interprétatives du rêve. Le thérapeute se place d’emblée et concrètement en représentant du CPI, tandis que le patient tient le rôle de l’enfant : le thérapeute ne peut interpréter des rôles qui le contraindraient à se placer dans la position de fils, de partenaire et de frère ou dans celle du rêveur lui-même. Les figures parentales présentes dans le rêve au contenu manifeste peuvent être nombreuses et variées, mais elles peuvent également être absentes ou représentées de manière partielle et déformée.

Kora, âgée de 15 ans est le troisième enfant d’une mère absente, austère, peu affective et d’un père distant, peu fiable porté sur la boisson. La psychothérapie débute suite au signalement d’abus sexuels subis du fait de l’époux actuel de la mère. Au cours notamment des premiers mois de prise en charge, Kora montre un détachement émotionnel important, l’intrusion de pensées liées à la maltraitance, des moments de dissociation et de détachement de la réalité contingente, une mémoire parfois fragile et un attachement pour le moins ambivalent. Sur le plan structurel, Kora présente un fonctionnement mental dominé par les décharges : la douleur et la souffrance sont principalement évacuées à travers le corps et le comportement. L’accès à la mentalisation et à la pensée transformatrice est difficile ; les mécanismes de défense sont archaïques ; l’ambivalence quant au lien à l’objet est forte (elle tend à dévaloriser l’objet auquel elle s’attache lorsqu’elle se sent envahie, alors qu’elle sollicite en tous points une nouvelle proximité dès qu’elle craint l’abandon ou l’éloignement). Kora semble rechercher une relation de non-réciprocité, motivée par la logique du désespoir (Green). Le besoin qui anime Kora semble être celui de la douleur : elle est à la recherche de mauvais objets qui la punissent, dans une spirale descendante continue de démérite et de dévalorisation. Le fonctionnement mental est donc dominé par une structure post-traumatique dissociative, avec de nombreuses particularités typiques du fonctionnement borderline. Dans ce contexte, les objectifs thérapeutiques servant de guide sont de pouvoir réactiver la capacité de générer et d’envisager profondément des pensées (Bion) en réparant le CPI et en affinant la capacité de Kora à le détruire et le reconstruire en permanence. Cette évolution thérapeutique peut être pressentie et interprétée à travers l’analyse du récit de trois rêves qui semblent signaler trois épisodes de changement à l’intérieur du monde relationnel et psychique de Kora : « J’étais assise à table avec Fidel et beaucoup d’autres personnes dont je ne je ne me souviens pas. Je ne parvenais pas à respirer. Je devais me lever, partir, sortir de table. Fidel me suit et me serre dans ses bras. Je me calme et je respire ». Dans ce premier rêve il n’y a pas de place parentale ménagée pour le thérapeute et le manque d’air (entendu comme le besoin de frustration pour activer la réflexion) peut être assimilé à l’absence d’un CPI stable et construit, qui empêche de respirer et de penser. Après des mois de thérapie, un deuxième récit de rêve apparaît : « Je suis chez Fidel, il y a aussi sa maman, son papa et une inconnue. Je vais dans la chambre avec Fidel : […] nous rions et plaisantons, mais ensuite il m’embrasse et nous finissons par faire l’amour. La femme inconnue rentre dans la chambre et fume un joint avec nous. Puis la mère de Fidel arrive, elle m’insulte et m’abreuve d’injures. Elle me déteste vraiment ». La figure de la mère apparaît et entre en scène pour fixer une limite, interrompre une satisfaction hallucinatoire et non générative. Le récit de ce rêve signale le début d’une intériorisation et d’une possible réparation du CPI : encore fragile et attaché (monoparentalité), mais enfin présent et limitant. Le troisième rêve révèle une autre avancée : « Je suis à la maison avec ma mère et je donne naissance au fils de Gianni. Je ne souffre pas car ils m’ont fait une péridurale, ma mère est à mes côtés et j’accouche paisiblement. Dès que le bébé est né, l’amour me saisit : il est beau, je me connecte immédiatement avec lui, je suis très heureuse. » Le nouveau-né peut représenter une nouvelle facette de la rêveuse, un enfant de désir qui doit grandir et être soigné : en outre, dans le rêve, une figure maternelle aimante et solidaire émerge, qui semble représenter une partie d’elle-même qui prend soin d’une autre (esquisse de construction et d’internalisation du CPI en tant que partie interne également déléguée à cette fonction). La psychothérapie se poursuit encore aujourd’hui et Kora semble avoir pu s’identifier à ma personne et l’intérioriser en tant que représentante du CPI : un couple réparé et disposé à la soutenir dans la pensée générative du nouveau-né, c’est-à-dire une pensée en mesure d’approfondir et de générer processus et contenus, représentations et émotions.

L’auteur

Elisa Tommasin est psychologue et psychothérapeute. Diplômée en Psychologie Clinique Dynamique de l’Université de Padoue, elle a complété sa spécialisation en psychothérapie psychodynamique à l’Institut de Recherche du Groupe de Lugano. Après avoir passé plusieurs années dans les services cantonaux pour mineurs (ambulatoires et semi-résidentiels), elle travaille actuellement dans le cabinet de psychologie de Lugano et s’adresse à tous les groupes d’âge. Elle collabore actuellement avec le groupe de direction de l’Institut de recherche du Groupe en tant que représentante des étudiants et anciens étudiants.

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