Éditorial

Psychotherapie-Wissenschaft 11 (2) 2021 7–10

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https://doi.org/10.30820/1664-9583-2021-2-7

Ce numéro thématique est consacré au travail sur les rêves sous l’angle de différentes méthodes de psychothérapie. Cette entreprise s’est avérée fascinante car les perspectives se révèlent plus étroitement imbriquées que prévu lorsque les déclarations explicites et implicites sont superposées et que leur congruence se manifeste. Cette congruence est omniprésente étant donné que le travail sur les rêves se déroule dans un espace imaginaire.

Le traitement des rêves dans la psychothérapie jungienne est décrit par Verena Kast. Travailler sur les rêves est d’une importance capitale en psychologie analytique, elle constitue aussi une compétence de base et une technique importante car les rêves, en tant que la via regia menant à la connaissance de l’inconscient, peuvent fournir des informations cruciales. Ainsi, les rêves donnent des indications sur l’orientation que pourrait prendre le développement, permettent un regain d’intérêt pour la vie, de nouvelles expériences sensorielles, mais renvoient aussi à ce qui a été refoulé. Ils régulent les émotions, notamment dans le contexte des relations, et revêtent également une importance majeure pour la relation thérapeutique. Cela correspond à deux théories du rêve : les rêves sont causés par des schémas relationnels dysfonctionnels internalisés et activent les ressources en compensant les attitudes unilatérales de la conscience.

Dans le contexte des rêves apportant de nouvelles idées dans la vie, C. G. Jung a parlé de la méditation sur les rêves, selon laquelle pour savoir ce que le rêve stimule, on le porte sur soi. Bien sûr, il parle non seulement de l’interprétation des rêves, mais également de « l’interprétation des rêves comme quintessence de toute incertitude et de tout arbitraire. » Méditer sur les rêves et percevoir les imaginaires qui leur sont liés, donne des indices importants sur la manière dont les psychanalystes jungiens d’aujourd’hui traitent les rêves.

Jung établissait déjà un lien entre le rêve diurne et le rêve nocturne en évoquant l’importance fondamentale du fantasme, de l’imagination. Selon Kast, ce point de vue est étayé par les recherches neuroscientifiques actuelles qui examinent les rêves diurnes et leur relation avec les rêves nocturnes – mais aussi avec la créativité – et postulent un continuum entre les deux rêves. Pour Kast, ces résultats fournissent une base théorique thérapeutique empiriquement sûre pour son travail d’imagination avec les rêves, qu’elle illustre par une étude de cas.

La contribution de Veronica Defièbre à la perspective psychanalytique se situe hors du cadre thérapeutique. On peut à juste titre la décrire comme une contribution passionnante et originale à la recherche sur les rêves, bien que l’auteure ne le fasse pas. Elle est basée sur un dispositif expérimental mis en place par un groupe de psychanalystes du Séminaire psychanalytique de Zurich (PSZ), appelé « Antennes spécialisées dans les rêves ». Celles-ci sont détachées du cadre psychanalytique. Elles ont été installées à différents endroits en Suisse alémanique, où chacun/une pouvait poster des rêves écrits afin de recevoir une interprétation psychanalytique écrite. Les rêves peuvent également être soumis via une adresse électronique et une ligne d’assistance téléphonique. Ce dispositif expérimental a été inspiré par les séminaires sur les rêves organisés par le séminaire psychanalytique, qui remontent à Fritz Morgenthaler. Il a permis d’accéder à des rêves dénués de tout contexte.

Grâce au projet sur les Antennes spécialisées dans les rêves, il est devenu de plus en plus évident que les rêves sont fondamentalement anonymes. Cependant, la notion d’auteur/e n’est pas toujours aussi claire, même dans le cadre d’une analyse. Le rêve, sa narration et son interprétation sont quelque chose de propre qui vient de quelque part que l’on ne connaît pas soi-même, qui contient quelque chose d’externe, qui selon la compréhension psychanalytique correspond à l’inconscient et n’est accessible que de manière associative. En outre, il existe un phénomène selon lequel de nombreux rêves contiennent des thèmes qui dépassent les personnes qui rêvent, par exemple, ils sont alimentés par des événements sociaux et politiques, des saisons et des événements historiques, des sources physiques et celles qui ne peuvent être déterminées avec précision. Les rêves seraient donc clairement dépendants du contexte et devraient être compris comme tels.

Peter Philippson décrit comment les rêves sont traités en psychothérapie comportementale. Avec le titre « Dreaming in the World » (Rêver dans le monde), il souligne son approche de la théorie du champ, selon laquelle les rêves ne sortent pas de nulle part mais se situent dans un contexte social contemporain spécifique. Il divise sa contribution en deux parties. Dans le premier, il explore la question de savoir ce qu’est un rêve et comment, dans la tradition de la psychothérapie comportementale, les rêves indiqueraient des conflits non résolus, des « situations inachevées ». Il décrit trois types de rêves : les rêves en tant que projection, les rêves en tant que rétroflexion et les rêves en tant qu’expression du champ dans lequel une personne est intégrée, chacun de ces types étant illustré par une brève étude de cas. Il conclut la première partie par des réflexions sur l’interprétation des rêves. Dans la deuxième partie, il explore la question du rêve en tant que réalité et réfléchit à un lien avec la vie et le rêve comme étant un art. Le rêve est compris comme une expression artistique et créative de l’environnement vécu.

Le traitement des rêves dans la psychothérapie corporelle expérientielle centrée sur la personne est présenté par Christiane Geiser. Elle est cofondatrice et ancienne responsable de formation de l’Institut GFK. Elle s’appuie sur la psychothérapie conversationnelle de Carl R. Rogers et le focusing (centre de soi) de Eugene T. Gendlin. Sa contribution présente l’état d’esprit qui permet de se laisser guider entièrement par les nouveaux petits aperçus des clients/tes sur leur chemin dans la psychothérapie. En prenant pour exemple le rêve récurrent d’une cliente concernant un oiseau dans une cage, elle présente la méthode et son contexte thérapeutique, théorique et philosophique. La fameuse « absence de signification a priori des thèmes ou contenus à prendre en compte dans la thérapie » de Rogers est fondamentale. L’agent est la relation entre le thérapeute et le client/te et la relation du/de la client/te à lui-même et aux autres. Ainsi, il ne s’agit pas de l’interprétation, mais du « felt sense » (sens corporel) de Gendlin, une sensation corporelle spécifique qui peut être utilisée pour vérifier si de nouveaux petits aperçus, c’est-à-dire des approches du sens personnel du rêve, émergent réellement. Ces petits pas constituent pour la cliente de l’étude de cas le moyen de sortir de la cage et de choisir quand et si elle préfère être en liberté à l’extérieur ou en sécurité à l’intérieur de la cage.

Le rêve lucide, également appelé rêve clair, désigne un rêve dans lequel la personne qui rêve sait qu’elle rêve et peut aussi influencer sciemment le rêve. L’ouvrage « Lucid dreaming as a technique in psychotherapy » (Le rêve lucide comme technique de psychothérapie) de Brigitte Holzinger et Eirin Fränkl fait référence à des études issues de la recherche sur le rêve lucide. Ce faisant, elles montrent les bases scientifiques de l’application de la technique du rêve lucide en psychothérapie. En particulier pour réduire les cauchemars, il existe de plus en plus de preuves de son potentiel thérapeutique. Comme il ne s’agit que du rêve lucide lui-même et non de la signification du contenu des rêves, il appartient aux écoles de travailler sur ces derniers en lien avec le rêve lucide. Cela ouvre la voie à une approche très efficace, par exemple dans la thérapie des personnes traumatisées. De plus – bien évidemment – l’imagination et la fantaisie sont également fondamentales dans la forme particulière d’expérience de conscience qu’est le rêve lucide. Malgré ces résultats prometteurs, la recherche sur le rêve lucide comme approche thérapeutique en psychothérapie n’en est qu’à ses débuts, notent les auteures. Des recherches supplémentaires dans ce domaine sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes du rêve lucide en psychothérapie et pour développer la formation sur les rêves lucides en conséquence.

Pour conclure ce point essentiel, Paolo Migone fournit à nouveau quelques résumés sur le thème de la question, extraits de la revue Psicoterapia e Scienze Umane.

Sous la rubrique « Travaux originaux » figure une contribution d’un groupe d’auteurs/res de l’Université Sigmund Freud à Vienne. Christiane Eichenberger et ses co-auteurs/res se concentrent sur la psychothérapie en ligne et la télépsychothérapie. Les fermetures dues à la pandémie de Covid-19 ont contraint les psychothérapeutes à se détourner temporairement des rencontres en face à face et à poursuivre leur thérapie par Internet ou par téléphone. L’article présente les effets de cette situation. En résumé, on peut dire qu’une relation thérapeutique stable a permis de faire face au changement de cadre. Pour certains patients, la thérapie en ligne est même plus adaptée que la thérapie en face à face. Les thérapeutes, en revanche, ont modifié leur attitude à l’égard de la santé en ligne grâce à l’expérience du changement de cadre imposé. Neuf thérapeutes sur dix souhaiteraient continuer à proposer ce cadre s’il était remboursé par les caisses d’assurance maladie.

Le numéro est complété par deux rapports de conférence et quatre critiques de livres.

Nous vous souhaitons une lecture stimulante !

Mario Schlegel & Peter Schulthess