La relation changeante entre spiritualité et psychothérapie

Joachim Raack

Psychotherapie-Wissenschaft 7 (1) 68–69 2017

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Mots clés : Spiritualité, histoire de la psychologie, psychothérapie, psychologie de la religion, changement de paradigme

Dans une revue historique, on analyse l’histoire enchevêtrée de la psychologie, de la psychothérapie, de la religion et de la spiritualité afin d’en savoir plus sur le développement actuel de la relation entre spiritualité et psychothérapie.

La psychologie de la religion était, jusque dans les années 20 du siècle passé, un champ d’application important de la psychologie. Il y avait des conférences de spécialistes très visitées, des revues spécialisées et des associations pour la psychologie de la religion. Les sujets préférés de la psychologie de la religion étaient les expériences de conversion, les sentiments et les convictions religieux, l’influence de l’adolescence sur le rapport à la religion et à la spiritualité et les expériences de mort imminente ou de résurrection. Les méthodes correspondaient à celles utilisées par le reste de la psychologie académique et reposaient sur les standards empiriques et scientifiques reconnus. De nombreux pères fondateurs de la psychologie ont apporté des contributions substantielles à la psychologie de la religion. Ainsi, entre autres, Wilhelm Wundt en Allemagne, Francis Galton en Angleterre, Jean-Martin Charcot et Pierre Janet en France, Theodore Flournoy en Suisse et William James et G. Stanley Hall aux États-Unis. Aux États-Unis, c’est surtout le Psychology of Religion Movement (mouvement de la psychologie de la religion) qui s’est fait connaître, en trouvant de nombreux partisans actifs de 1880 à 1930 aux États-Unis.

Au début du 20ème siècle, deux nouveaux courants spirituels s’imposent dans les universités : la psychanalyse et le behaviorisme qui s’affrontent mutuellement, mais sont d’accord sur un point, leur rejet de la religion et de la spiritualité. En peu de temps a eu lieu un changement de paradigme dramatique décrit par le célèbre psychologue social Gordon Allport en 1950. Depuis 1930, s’est produit un changement intéressant dans le statut de la religion et de la sexualité comme objets d’étude appropriés au sein de la psychologie. La sexualité, qui avait auparavant été proscrite comme objet de recherche, est devenue un sujet très à la mode dans la psychologie, alors que la religion et la spiritualité, qui étaient des sujets très populaires avant 1930, sont devenues des sujets tabous (Cf. Allport, 1950).

Mais quelles étaient les raisons de ce changement de paradigme ? Parallèlement au simple fait qu’un changement de génération avait eu lieu dans les facultés de psychologie, ce changement de paradigme s’explique comme une émancipation progressive de la psychologie par rapport à sa mère, la philosophie, en plus de l’influence des sciences naturelles en plein essor, avec leur vision du monde positiviste qui correspondait bien mieux à l’air du temps. L’esprit du temps des années 20 et 30 du siècle passé a été fortement influencé par la force dévastatrice de la 1ère guerre mondiale, par la dissolution d’anciens ordres sociaux et politiques, par la sécularisation progressive, par la crise économique mondiale et par des innovations et des découvertes dans le domaine des sciences naturelles révolutionnaires.

Mais la psychologie de la religion a également étouffé sous l’emprise de la théologie. Au sein de la théologie, se trouvait un fort intérêt pour l’analyse psychologique de phénomènes religieux. La théologie a ainsi essayé de prendre part à la nouvelle image de la scientificité qui, comme nous l’avons vu, était marquée par les sciences naturelles. Mais pour la psychologie de la religion, cet intérêt et cette proximité à la théologie a eu un effet dévastateur. La proximité et la dépendance des chercheurs à des professions de foi et à la religion institutionnalisée entravait, paraissait-il, leur objectivité et ainsi tout caractère scientifique.

Après la 2nde guerre mondiale, un nouvel intérêt s’est développé, principalement depuis les États-Unis, pour les sujets de la religion et de la spiritualité au sein de la psychologie et de la psychothérapie. Mais ce n’était pas la psychologie académique mais un groupe de marginaux regroupés autour d’Abraham Maslow et Anthony Sutich, qui était à l’origine de cet intérêt. Celui-ci a fondé, en réaction par rapport à l’unilatéralisme de la psychanalyse et du behaviorisme classiques, tout d’abord la psychologie humaniste, puis, en 1969, la psychologie transpersonnelle, qui s’est explicitement attribué l’étude de phénomènes religieux et spirituels.

Cependant, dans sa perception, la psychologie transpersonnelle est restée trop antiacadémique et anti-establishment pour s’implanter dans les institutions. Elle était certes, contrairement à la psychologie de la religion, non confessionnelle et, en ce sens, plus accessible pour la science et la pensée scientifique, mais elle reproduisait d’autres erreurs de la Psychology of Religion des années 20 et 30. Ainsi, naïvement, elle a appliqué le paradigme des sciences naturelles à l’expérience spirituelle, en reliant des personnes en méditation à un EEG dans un laboratoire et essayé, ainsi, de décrypter le secret de la méditation. Tout comme la Psychology of Religion de l’Amérique du tournant du siècle, elle n’a pas réussi à résoudre le dilemme de la réconciliation entre la science et la religion.

Mais un autre mouvement a célébré sa résurrection dans les années 70, il s’agit de la psychologie de la religion. Celle-ci a finalement réussi à créer sa propre division au sein de l’APA. Dans les années qui suivirent, ce mouvement s’est de plus en plus rapproché de l’APA et en 1976, la PIRI (Psychologists Interested in Religious Issues) a été incorporée comme 36ème division dans l’APA. Son nom a été changé en 1992 en Division of Psychology of Religion et en 2012 en Society for the Psychology of Religion and Spirituality.

En 1996, a été publié un recueil de la division 36 (Shafranske, 1996) sur des sujets de la psychologie de la religion, comprenant quatre exposés cliniques, qui a eu une résonance significative et a connu un grand succès commercial. Depuis ce succès surprenant, l’APA a aidé la psychologie de la religion à surmonter son ancien statut de domaine tabou dans la psychologie. Entre-temps, toute une série de publications comparables a vu le jour (Belzen, 2015, p. 166, p. 249 et suiv.). En 2009, la division 36 a créé sa propre revue spécialisée, Psychology of Religion and Spirituality et depuis 2014 l’APA publie la revue Spirituality in Clinical Practice.

En Allemagne et en Europe, des tendances similaires deviennent visibles, avec un peu de retard. Ici aussi de plus en plus de recueils et de monographies apparaissent sur les sujets cités et, en particulier les dissertations dans de grandes revues spécialisées, deviennent de plus en plus nombreuses (Belzen, 2015, p. 249 et suiv.).

À propos de l’auteur

Joachim Raack, psychanalyste (DGPT, DGAP), thérapeute de groupe. Études de philosophie, religion comparée et science politique à Bonn et Paris (Paris IV/ la Sorbonne) et de psychologie à Berlin. Maîtrise de philosophie et diplômé en psychologie. Professeur à l’IPR et au C. G. Jung-Institut à Munich. Installé dans son propre cabinet à Cologne.

Littérature

Allport, Gordon (1950) : The Individual and His Religion : A Psychological Interpretation (L’individu et sa religion : une interprétation psychologique). Oxford : Macmillan.

Belzen, Jacob A. v. (2015) : Psychologie de la religion. Une analyse his­torique dans le reflet d’une société internationale. Berlin : Springer.

Shafranske, Edward P. (édit.) (1996) : Religion and the clinical practice of psychotherapy (La religion et la pratique clinique de la psychothérapie). Washington : APA.