Kerstin Lang
Psychotherapie-Wissenschaft 7 (1) 42–43 2017
www.psychotherapie-wissenschaft.info
Mots clés : Gestalt-thérapie ; existentialisme ; Sartre ; Paul Goodman ; Buber ; relation Je-Tu ; contact ; honte
Dans ses travaux sur le fondement théorique, on peut remarquer que les praticiens en Gestalt de la nouvelle génération se sont confrontés aux théories de Edmund Husserl, Martin Heidegger et Martin Buber, mais pas à celles de Jean-Paul Sartre. Le véto de Paul Goodman concernant la « thérapie existentielle » se base sur le fait qu’il trouvait la philosophie de Sartre « trop nihiliste » (Rosenblatt, 1/2008), ce qui a, de la même façon, donné son nom à la Gestalt-thérapie ainsi que son association avec la psychologie de la forme.
Le point de départ de ce résumé est l’exigence de Stefan Schwall d’avoir une théorie fondée du rapport « Je-Tu ». Celle-ci doit permettre de montrer qu’il faut considérer le contact comme invasif, et donc pas seulement comme un phénomène de surface et que cela explique le pouvoir curatif de ce contact (Schwall, http://www.gestalt.de/schwall_sartre.html ). L’analyse suivante de Sartre est un essai de répondre à cette exigence.
Tout d’abord il faut remettre en question la façon dont Sartre, ou encore les praticiens en Gestalt, définissent l’individu et son rapport à l’environnement et à l’autre. Les réflexions de Sartre sur la relation entre l’individu et l’environnement montrent que, de son point de vue, l’individu seul se rapproche du monde. Il n’en va pas de même dans la Gestalt-thérapie qui attribue plus de poids à l’environnement dans la formation de la personnalité. Mais les deux ont en commun l’idée que l’individu ne peut être vu que dans son ensemble.
Ce qui est encore plus intéressant, ce sont les représentations de ce que l’autre signifie pour l’individu.
Pour Sartre, l’autre signifie d’abord une limite de sa propre existence et de sa propre liberté. Afin que je puisse accéder à une définition de mon existence et me concevoir comme un être qui EXISTE, il faut l’autre, par rapport auquel je me nie – il faut donc que je voie quelque chose chez l’autre qui me permet de dire : « Ce n’est pas moi ». Comme cela me permet de me concevoir en tant que sujet, j’en déduis que l’autre aussi est sujet pour lui-même et se nie par rapport à moi de la même façon. On prend conscience de son propre corps, son existence en soi – et la reconnaissance du fait que l’on est un objet pour l’autre génère de la honte. « La honte en elle-même n’est pas le sentiment d’être tel ou tel objet blâmable, mais celui d’être simplement un objet, c’est-à-dire de se reconnaître dans cet objet diminué, dépendant et figé que je suis pour l’autre » (Sartre, 2012, p. 516).
Dans la Gestalt-thérapie, ce processus serait défini comme projection. Afin de pouvoir avoir honte, il faut trois conditions qui se trouvent déjà de façon indirecte dans la phrase « j’ai honte ». Tout d’abord il faut l’autre, devant lequel je peux avoir honte, ensuite il faut avoir une idée de la façon dont je peux être perçu par l’autre, et enfin il faut la perception de moi-même en tant qu’individu. Laura Perls attribue également la honte à la limite entre moi et l’autre, mais la relation à l’autre est moins une négation, comme dans la description de Sartre, qu’une rencontre et une confrontation avec l’opposé. « J’ai compris relativement tôt que l’embarras est la zone frontière par excellence, et cette connaissance est une composante importante de mon approche dans la thérapie ainsi que dans la formation thérapeutique. Tu as un pied en pays connu et l’autre en pays inconnu. Si tu parviens à accepter ton embarras, alors tu commences à entrer en contact avec « l’inconnu », avec « l’autre » (Doubrawa, 2005, p. 181).
Dans les traités de Sartre, l’autre est une condition nécessaire pour que je devienne moi-même. Cependant Sartre en reste à la fonction que tient l’autre pour la propre personne. Sa confrontation met l’accent sur ce qui sépare deux personnes qui ne peuvent cependant pas vivre séparées l’une de l’autre. Sartre, tout comme Buber, se confrontent ainsi avec le regard de l’autre et avec sa signification pour l’individu. Tous deux considèrent l’autre comme important pour le processus d’individuation. Contrairement à Buber, Sartre décrit le regard de l’autre comme humiliant – humiliant parce que l’autre peut reconnaître davantage de moi que moi-même et je me ressens comme objet dans le regard de l’autre. Cependant on trouve ici également une opportunité, d’un point de vue thérapeutique, pour que j’en découvre davantage sur moi à travers l’autre. L’exigence de Schwall était de montrer que la relation Je-Tu est invasive. En tenant compte de Sartre, on a pu montrer que l’individu a besoin de l’autre pour s’identifier et se définir en tant qu’individu. Cela signifie que le contact n’est pas seulement invasif, mais aussi existentiel dans la découverte de soi.
De même, on peut montrer que la relation Je-Tu se déroule sur un même niveau, car le thérapeute, tout comme le patient, sont soumis au même processus d’échange entre sujet-autre et objet-autre. La honte dans la thérapie, ou encore le fait d’être vu par le thérapeute, sont des facteurs essentiels pour la prise en compte de soi et des processus de changement. Dans ce processus, l’autre sert de surface de projection pour les parts que je ressens comme ne faisant pas partie de moi et que j’attribue à l’autre. Dans le processus thérapeutique, celles-ci peuvent être récupérées et entrainer une nouvelle perception de soi.
À propos de l’auteure
Mag. Kerstin Lang, Autriche, a étudié les sciences psychothérapeutiques à l’université privée Sigmund Freud à Vienne, praticienne intégrative en Gestalt, psychothérapeute libérale et aide à la gestion des crises dans une institution pour enfants et adolescents présentant un handicap.